Michael Mann, lors de la journée de remise des insignes de Docteur honoris causa à l'UCLouvain © Christian Du Brulle

Pour Michael Mann, il reste à peine dix ans pour limiter la surchauffe de la planète

6 mai 2022
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 5 minutes

« Tout est sous nos yeux depuis plus de 40 ans, et nous n’avons pas voulu le voir ». Voilà comment Michael Mann, le célèbre climatologue et géophysicien américain de l’Université de Pennsylvanie, décrit le gâchis de ces dernières décennies.

Le gâchis de l’inaction des dirigeants politiques de la planète face aux bouleversements que l’humanité a infligé à son climat. Mais aussi le gâchis généré par les faux discours sur le climat, les dénis, voire la propagande des climatosceptiques dictée par les intérêts des lobbies gaziers, pétroliers, et même politiques.

« Dont un récent président américain qui n’a pas hésité à diffuser plus de 30.000 messages faux ou tronqués tout au long de son mandat, y compris en ce qui concerne le climat », rappelait voici quelques jours le recteur de l’UCLouvain, le Pr Vincent Blondel, à l’occasion de la remise des insignes de Docteur honoris causa à Michael Mann.

Une vérité qui dérange

Vous avez dit « fake news » (désinformation) ? Le scientifique lui-même en a été victime. Ou plus exactement, il a fait l’objet d’une campagne de dénigrement. « En 2009, vous devenez la cible d’un piratage et de menaces de mort après avoir publié le graphique en crosse de hockey qui sera un des arguments emblématiques du lien entre les activités humaines et le réchauffement climatique », rappelle François Massonnet, chercheur qualifié FNRS en climatologie à l’UCLouvain et parrain de Michael Mann pour ce doctorat honorifique.

« Selon vos détracteurs, vous auriez manipulé les données scientifiques pour masquer le déclin des températures mondiales moyennes. Vous serez cependant lavé de tout soupçon par la commission d’enquête “Penn State” grâce à laquelle vous démontrez que la vérité, même si d’apparence fragile et contestable, est bien irréfutable et justifiée. »

La défiance face aux scientifiques ? «Un cancer qui a métastasé»

Le problème de la désinformation, des croyances farfelues face à des réalités indiscutables, ou encore celui de la manipulation de la pensée préoccupent Michael Mann. « Le fossé qui se creuse entre les gens et la connaissance, entre le public et la technologie sont des cancers », dit-il. « Mais il ne faut pas avoir peur de la technologie. Elle nous aide à trouver des solutions aux problèmes que nous rencontrons, comme la crise climatique ».

Il voit aussi d’un mauvais œil l’autre fossé se creuser, celui de l’ignorance. « Les personnes qui refusent de voir les avancées des connaissances et de la science sont galvanisées par des personnes influentes, qui poursuivent d’autres buts, qui ont leur agenda personnel, caché, politique. Cette défiance vis-à-vis des connaissances et des scientifiques est un cancer qui a métastasé », estime-t-il.   « Cet illettrisme scientifique, le maintien dans l’ignorance de ce public et les messages tronqués qui impactent le cerveau reptilien des gens, c’est un jeu dangereux. On l’a encore vu avec la crise du Covid et les mouvements anti-masques,  anti-vaccins… »

Comment s’immuniser contre cette ignorance ? « Par l’éducation et par l’information. Une information juste et rigoureuse », martèle le scientifique. « Mais aussi par une information accessible, vulgarisée. C’est là une des urgences de l’Humanité ».

Assez de blabla, place aux actes

« Avec l’urgence climatique, bien entendu », continue-t-il. « Nous devons très vite pouvoir nous passer des énergies fossiles. Pour y arriver, les responsables politiques doivent cesser de se limiter aux belles paroles… les paroles ne coûtent rien », dit-il. Place aux actes!

Et à ses yeux, pour amener les décideurs à enfin agir, rien de tel que les mouvements citoyens. Les jeunes qui réclament d’agir pour le climat, les pressions populaires sur les politiques. « Si on veut limiter le réchauffement climatique à 2 degrés d’ici la fin du siècle, il nous reste dix ans pour réduire de moitié nos émissions de carbone », dit-il. « Mais on devrait en faire davantage, et viser une hausse de maximum 1,5 degré d’ici la fin du siècle. Le risque est grand de voir les glaces polaires fondre à grande vitesse et la hausse du niveau des mers et des océans s’emballer pour atteindre plusieurs mètres d’ici la fin du siècle ».

Son tiercé énergétique : vent, Soleil et géothermie

Quand il parle d’actes, il préconise aussi de se méfier des discours temporisateurs, de solutions futures et miraculeuses autant qu’hypothétiques. Pour décarboner nos économies, il faut agir tout de suite. « La capture du carbone et sa séquestration ? Ce sont des excuses de politiciens et décideurs pour ne pas avoir de pressions », estime-t-il.

Sur quels leviers agir dès lors ? D’un point de vue technique, son tiercé en matière d’énergie renouvelable à privilégier pour les dix années à venir repose sur l’énergie du Soleil, du vent et de la géothermie.

« En ce qui concerne le stockage de cette énergie renouvelable, il me semble que les batteries, le pompage hydraulique et le stockage sous forme d’hydrogène vert sont les technologies les plus intéressantes aujourd’hui. Ne soyons pas technophobes. Sachons choisir les technologies qui nous sont utiles », conclut-il.

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