Série : La politique, c’est la vie (1/6)
Que ce soit en Belgique ou ailleurs, le jeu politique est parfois fait de « petites phrases » assassines. Pour autant, si les conflits entre adversaires – qui s’opposent sur des visions idéologiques – peuvent amener des désaccords profonds, ils ne compromettent pas nécessairement l’idée de trouver, ensemble, des compromis. Surtout, ces mésententes ne remettent pas en cause la légitimité des uns et des autres à participer à la vie démocratique.
Une évolution inquiétante est que des hommes et femmes politiques considèrent aujourd’hui leurs opposants comme des ennemis à détruire. « De nos jours, la conflictualité en politique s’exprime de plus en plus dans le cadre de querelles personnelles, où l’on attaque l’autre sur sa personnalité, sa manière de s’habiller, son âge… », constate Jérémy Dodeigne, professeur de sciences politiques à l’UNamur. « On est dans l’hyper-invective. Ce qui ne laisse pas beaucoup de place aux débats d’idées et aux projets de société communs. »
Ce style politique – émotif, personnalisé, conflictuel –, serait-il une nouvelle tendance ? Est-il le reflet d’une évolution réelle de la vie politique ? Répondre à ces questions sera l’ambition du Pr Dodeigne à travers le projet de recherche POLSTYLE. Une étude soutenue par le Conseil européen de la recherche via une bourse ERC Starting Grant.
L’influence des systèmes politiques et médiatiques
Dans le cadre de ce projet, le Pr Dodeigne et son équipe postulent que ce sont les évolutions des systèmes médiatiques et politiques qui façonneraient les changements des styles politiques au fil du temps.
« On a tendance à penser que les quelques leaders qui adoptent ce style politique (comme Donald Trump, pour ne citer que lui) représentent des exemples des transformations actuelles. Mais ce serait oublier que ces figures appartiennent à des systèmes politiques et médiatiques singuliers, propres à leurs pays. »
« Une série d’études pointent déjà que ce style sera radicalement différent selon le système politique d’un pays. Aux Etats-Unis, par exemple, deux grands partis s’opposent, les démocrates et les républicains. Les relations entre partis y sont donc plus conflictuelles. En Europe, nos démocraties se fondent le plus souvent sur une offre très diverse. On retrouve ainsi des partis libéraux, socio-démocrates, centristes, écologistes, de gauche ou de droite radicale…On doit alors composer avec les membres d’une majorité. Et les partis dans l’opposition seront peut-être les alliés de demain. »
Quant aux systèmes médiatiques, et les rapports entretenus entre la presse et les politiques, ils varient aussi beaucoup d’un Etat à un autre. « Il est important de ne pas faire de “l’exceptionnalité du présent” quand on étudie les styles politiques », estime le Pr Dodeigne.
Focus sur les transformations des styles politiques européens
Pour tester cette hypothèse, l’équipe analysera et comparera les modèles et évolutions des styles politiques depuis 1960 dans 4 démocraties européennes : l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et le Royaume-Uni. Le projet cherchera également à déterminer les facteurs institutionnels et politiques qui limitent ou favorisent l’émergence de certains styles.
« On a choisi d’étudier ces pays en particulier, car une série de facteurs les séparent profondément. D’un côté, l’Espagne et le Royaume-Uni sont des systèmes bipartisans, avec un seul parti au pouvoir. De l’autre, la Belgique et l’Allemagne reposent sur des systèmes de coalition. Par ailleurs, leurs systèmes d’organisation de la structure médiatique se distinguent, avec des interactions avec les pouvoirs publics qui varient. Certains présentent des systèmes médiatiques plus libéraux, d’autres davantage corporatistes. L’offre n’est pas non plus la même. La presse à sensation, par exemple, est nettement plus présente au Royaume-Uni. »
Analyse numérique des discours politiques
Concrètement, les chercheurs vont collecter et analyser les interactions et prises de position d’hommes et femmes politiques au sein de 4 arènes : les parlements, la presse écrite, les débats électoraux télévisés, et la plateforme X (anciennement Twitter).
En tout, des dizaines de milliers de données seront examinées. Pour étudier ces archives, réparties sur quatre pays, les partenaires du projet s’appuieront sur des logiciels de collecte et d’analyse de contenus. Ceux-ci permettront, par exemple, de détecter automatiquement des insultes, des attaques, un ton outragé, etc.
« Dans le cadre d’un autre projet, une étude pilote a permis de développer des algorithmes d’analyse des retranscriptions des interventions parlementaires. Ils fonctionnent très bien avec, dans 88% des cas, des résultats similaires à l’analyse réalisée par un humain. Dans le projet POLSTYLE, on va perfectionner ces outils, afin qu’ils soient capables d’analyser des contenus audiovisuels. »
Par ce projet, les chercheurs seront à même de déterminer si le style politique basé sur le conflit, l’émotionnel et l’attaque personnelle, est bel et bien une nouveauté en politique. Et s’il représente un danger pour nos démocraties.