Première belge : un anticancéreux traite avec succès une malformation chez un fœtus

6 juin 2023
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

C’est une première en Belgique, mais aussi dans le monde. Un fœtus doté d’une malformation vasculaire qui développait une importante masse lymphatique dans le cou a été soigné in utero par médicaments. Six ans plus tard, l’enfant va parfaitement bien. Et ce traitement, réalisé par les chercheurs de l’Institut de Duve et les équipes du Centre des malformations vasculaires, ainsi que du Service d’obstétrique des Cliniques Saint-Luc, est en passe d’être adopté dans de nombreux autres hôpitaux dans le monde: Barcelone, Texas Children, Harvard.

Considérées comme des maladies rares, les malformations lymphatiques sont des lésions composées de vaisseaux lymphatiques anormaux. Les patients atteints par ces malformations souffrent de déformations, de douleurs importantes, d’impotences fonctionnelles, de faiblesses musculaires et de saignements. Leur qualité de vie est considérablement dégradée, rappelle l’UCLouvain.

Dans le cas de la petite fille traitée à Saint-Luc, ces complications ne sont plus qu’un lointain souvenir. Elle va parfaitement bien et se développe normalement.

Une molécule utilisée contre le cancer 

C’est un traitement à base d’un médicament habituellement administré aux patients souffrant d’un cancer du sein ou des reins qui a permis de lutter contre la malformation lymphatique: le Sirolimus, également appelé rapamicyne. Il a été donné à la future mère au cours de la deuxième moitié de sa grossesse. Soigneusement dosé et administré sous forme de comprimé, une fois par jour, ce médicament est en partie passé dans le placenta et a permis d’agir chez le fœtus en réduisant la masse qui se développait près de sa colonne vertébrale, sur le côté de son cou. Sans effet secondaire notable chez l’enfant, il a seulement été à l’origine d’effets secondaires légers (des aphtes), chez la mère.

« Dans le cas du cancer, comme dans celui de cette malformation lymphatique, c’est le même gène qui est en cause », explique le Dr Emmanuel Seront, du Service d’oncologie médicale. « Mais comme il concerne d’autres cellules, cela a entraîné une malformation vasculaire et non un cancer. »

« Après sa naissance, le bébé, une petite fille, a encore été traité avec ce médicament, mais toujours à des doses bien inférieures à celles administrées aux patients cancéreux », indique encore le Dr Seront.

« La masse résiduelle de la malformation (un paquet de cellules se présentant sous forme de gros kystes) a enfin été retirée par chirurgie quand la petite avait 15 mois », précise la Pre Laurence Boon. « Le risque, avec cette malformation qui ne cessait de grossir chez le fœtus, était de voir cet enfant ne pas pouvoir respirer à sa naissance. Cette masse appuyait sur la trachée. Elle risquait aussi d’entraîner un torticolis permanent. »

De gauche à droite : Dr Emmanuel Seront, Pre Laurence Boon et Pr Miikka Vikkula © Christian Du Brulle

Une vaste étude clinique en cours 

« Cette belle réussite résulte de découvertes fondamentales réalisées pendant plus de trente années », indique de son côté le Pr Miikka Vikkula, spécialiste en génétique moléculaire à l’Institut de Duve (UCLouvain).

« Au fil de nos travaux, nous avons pu mettre en évidence les mutations génétiques responsables de ces malformations vasculaires. Des mutations qui apparaissent aussi dans certains cancers. Nous avons ensuite testé in vitro diverses molécules susceptibles de pouvoir inhiber l’action de ces gènes mutés, autant en ce qui concerne le cancer que les vaisseaux. »

« Dès 2015, nous avons pu montrer que le Sirolimus était utile pour empêcher le développement d’une malformation vasculaire chez la souris. Ces travaux ont permis d’élaborer de nombreuses études cliniques permettant d’évaluer et de confirmer l’efficacité du Sirolimus, d’abord sur 6 patients, puis sur 19. Actuellement, nous menons une vaste étude clinique sur 250 patients. Mais dans le cas de l’enfant de Shinta, c’était et cela reste une première: utiliser ce médicament in utero, en cours de grossesse. »

Pour Shinta, la mère de la petite, le choix était évident. « Il s’agissait de se lancer dans ce traitement finalement expérimental, ou d’avorter, ce que je ne souhaitais vraiment pas », explique cette femme désormais mère de quatre enfants. « Hormis ce problème de malformation lymphatique chez mon bébé, tout le reste était parfaitement normal ».

À ce jour, l’équipe a reçu quatre demandes de traitement du même genre de la part du service pédiatrique des Cliniques Saint-Luc. Dans un de ces cas, une procédure a été lancée.

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