Série “Vert, j’espère” (2/3)
Pour la première fois, des résidus de chlorophylle ont été détectés dans des fossiles d’algues vieux d’un milliard d’années. Cette découverte, réalisée par Marie Catherine Sforna, postdoctorante au sein du Laboratoire Early Life Traces & Evolution (ULiège), a permis d’identifier sans ambiguïté l’un des plus anciens organismes eucaryotes photosynthétiques multicellulaires. Une recherche paléontologique qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’étude de la diversification des eucaryotes au sein des premiers écosystèmes.
On soupçonne les algues multicellulaires d’être apparues durant le Protérozoïque. Soit dans une large fourchette temporelle allant de -2,5 milliards à -541 millions d’années. «Parmi les fossiles préservés de cet âge-là, on en trouve très peu dont on est certain qu’ils appartiennent à la famille des eucaryotes (organismes unicellulaires ou multicellulaires dont les cellules possèdent un noyau et des organites délimités par des membranes, NDLR) photosynthétiques. En réalité, avant cette étude, il n’y en avait que deux connus sans ambiguïté, grâce à leur morphologie et la façon dont ils sont organisés », explique Dre Sforna. Son objectif de recherche était de découvrir une nouvelle façon de détecter les fossiles d’algues multicellulaires de façon non-ambiguë.
Pour cela, elle a concentré ses efforts sur des fossiles contenant des restes de contenus cellulaires préservés. Ceux-ci étaient conservés sous forme de compressions carbonées dans des schistes du bassin du Congo en République démocratique du Congo. Ces organismes ont vécu sur Terre dans une gamme de temps comprise entre -950 et -1030 millions d’années. Cette datation a été permise par la proximité avec des laves et des zircons d’ores et déjà datés avec précision.
Des résidus de chlorophylle sous X
Les échantillons fossilisés ont été soumis à l’étude dans deux synchrotrons, en France et en Suisse. Cette grosse machine est une source extrêmement puissante de rayons X, produits par des électrons de haute énergie circulant dans un anneau de stockage.
« L’usage de la fluorescence X a permis de voir la distribution des métaux à l’intérieur des cellules fossilisées. Résultat ? Nous avons pu mettre en évidence un enrichissement en nickel, lequel est lié à des géoporphyrines, des molécules très stables dans le temps dérivant de la dégradation de la chlorophylle après la mort de l’organisme photosynthétique », explique Marie Catherine Sforna.
C’est la première fois que des géoporphyrines, ces résidus de chlorophylle, sont observées à l’intérieur d’un fossile.
Une liaison qui protège de la cuisson
« Ces molécules sont fréquentes dans les pétroles. Mais au-dessus de 150°C, elles disparaissent. Or, la majorité des roches du Protérozoïque ayant subi des températures supérieures, les géoporphirines ne s’y trouvent plus. Excepté à l’intérieur de certains fossiles dotés de restes de contenus cellulaires préservés. En effet, les géoporphyrines sont comme accrochées aux composés organiques. C’est ce qui leur permet d’être préservées », poursuit la chercheuse en paléontologie.
Cette première détection de géoporphyrines dans des roches ayant cuit à plus de 150°C ouvre la voie à leur quête dans d’autres roches ayant subi des hautes températures. Notamment dans des roches de l’Archéen, de -4000 millions d’années à -2000 millions d’années, une période d’intense activité magmatique qui a conduit à l’extraction de près de trois quarts du volume de la croûte continentale à partir du manteau. « On connaît très peu de choses sur les organismes qui vivaient sur Terre durant période précédant le Protérozoïque. »
Un repère pour horloges moléculaires
Ce travail est le fruit de l’analyse de 163 cellules comprises dans 15 fossiles. « Au-delà de l’étude géochimique très poussée, les fossiles ont également été soumis à une étude morphologique. Cette combinaison d’informations nous a conduits à affirmer que ces fossiles sont ceux d’êtres photosynthétiques. Et qu’il s’agit d’eucaryotes, en l’occurrence d’algues multicellulaires Arctacellularia tetragonala », précise Dre Sforna.
« Actuellement, je continue à travailler sur des fossiles datant d’un milliard d’années afin de déterminer toutes les clés de lecture. Il est essentiel de fixer solidement des points biologiques dans la ligne du temps de l’évolution. »
Et ce, notamment, pour que la biologie puisse construire des horloges moléculaires. Il s’agit d’une approche statistique estimant la distance temporelle qui sépare deux espèces à l’aide du taux de mutation, en considérant que celui-ci est stable au cours du temps et en fonction du type de gène concerné. « Pour être érigées, ces horloges ont besoin d’un point de départ, lequel est souvent un fossile bien contraint dans le temps et dans sa nature. »
« En étudiant le génome, la biologie peut dire que, statistiquement, un tel type d’organisme serait apparu durant telle période. Mais cela reste une étude statistique. Le fait, comme c’est le cas dans notre étude, de fixer des points dans le temps, de dire ‘ce fossile vieux d’un milliard d’années, je suis certaine que c’est un eucaryote photosynthétique multicellulaire’, cela contraint les modèles biologiques. Et cela permettra de mieux comprendre l’évolution du vivant », conclut Marie Catherine Sforna.