Série: Chercheur et aventurier (3/5)
C’est à bord d’un petit voilier que 9 chercheurs de l’ULB, de l’ULiège et de l’UGent, sont partis de mi-février à mi-mars 2023 dans les eaux bordant le sud de la péninsule de l’Antarctique. Cette expédition, menée par Pr Bruno Danis, directeur du laboratoire de biologie marine de l’ULB, avait pour but de déterminer les effets du changement climatique sur les écosystèmes marins peu profonds en Antarctique.
Dénommée TANGO1 et financée par Belspo, elle est le premier volet d’une mission qui en compte deux. L’an prochain, également de mi-février à mi-mars, pour s’assurer du respect de la saisonnalité dans les prélèvements, une équipe de chercheurs se rendra, à bord du même voilier, dans le nord de la péninsule antarctique. Cette zone est plus facile d’accès que la partie sud, et est déjà connue des scientifiques, puisque Bruno Danis y est allé en 2019, dans le cadre de l’expédition Belgica 121.
Première esquisse de la bathymétrie
« En se rendant d’abord dans la partie sud, on a clairement commencé par le plus compliqué. La zone est plus difficile d’accès, requiert plus de navigation et donc de temps, et est très peu cartographiée. S’il existe quelques cartes marines axées sur les routes pour les gros bateaux, comme les brise-glaces, les petits recoins, joignables en petit bateau, ne sont quant à eux pas cartographiés. Comme on ignore les profondeurs, on marche sur des œufs quand on y va », explique-t-il.
« Grâce à des sondeurs placés sur le voilier, on a pu réaliser les premières cartographies de zones peu profondes et repérer une série de dangers pour la navigation. Ceux-ci ont été consignés et transmis afin d’avertir les autres marins. »
Rare, la banquise
Une autre grosse difficulté rencontrée par les chercheurs a été de trouver de la glace de mer. « Quand on travaille au niveau des pôles, on s’attend à trouver de la glace facilement. Et là, ça a été tout l’inverse. En cette année influencée par El Niño, la concentration en glace de mer, aussi appelée banquise, est la plus basse mesurée depuis 40 ans », explique Pr Danis.
La banquise se forme chaque année plus ou moins fortement avant de fondre. Elle est le moteur principal des écosystèmes marins polaires et est donc une grosse contrainte pour la vie. « Les changements climatiques induisent des variations en termes de concentration en glace de mer. Ils influent également sur le moment auquel elle se forme. Or, de nombreuses espèces marines sont synchronisées avec l’apparition de la banquise. Notamment les superprédateurs et les oiseaux migrateurs devant faire le plein d’énergie avant d’entamer leur long voyage. »
Un laboratoire à ciel ouvert
Grâce à l’agilité du voilier, aux données satellitaires et aux connaissances du skipper passant 4 mois par an dans les eaux australes, les scientifiques ont finalement trouvé au fin fond de fjords, deux sites d’étude parfaits : des endroits où existe un gradient de glace de mer contrasté à petite échelle spatiale.
« L’un d’eux est un endroit où la glace avait complètement fondu il y a une vingtaine d’années. Cela est documenté par des images anglaises. C’est un vrai cas d’école en écologie marine, et on est tombé dessus par hasard. »
L’Antarctique est utilisé comme un laboratoire géant présentant des conditions de stress environnemental variables d’un endroit à l’autre. « On profite de ces différents gradients du régime des glaces retrouvés en milieu naturel pour étudier la réponse apportée par les organismes. En Antarctique, il y a peu de pollution, peu de trafic maritime, peu d’impacts anthropiques directs. Il y a donc peu de facteurs qui pourraient interférer avec ce que l’on observe », précise le biologiste marin.
Etude transversale
L’originalité de l’expédition est d’avoir réalisé en même temps, et à différentes échelles spatiales, les prélèvements nécessaires pour mener des recherches en glaciologie, en biogéochimie, en océanographie et en biologie. Et ce, dans le but d’ essayer de comprendre comment les flux d’énergie transitent entre l’atmosphère et la glace, entre la glace et la colonne d’eau, et entre la colonne d’eau et le fond.
« On s’intéresse aux échanges d’énergie pour déterminer comment la glace de mer influence les flux d’énergie dans les écosystèmes. Nous essayons de comprendre ce qui se passe de façon intégrée. Pour ce faire, des échantillons de l’ensemble sont nécessaires.»
« A terme, l’idée est de développer des modèles prédictifs. Cette approche plus théorique, mathématique, prendra toute son ampleur lorsque l’on aura collecté et analysé toutes les informations du terrain. »
D’ici la fin du projet, soit d’ici deux ans, les premières ébauches de modèles et d’exercices d’intégration devraient être proposées.
La biodiversité : la partie la plus fastidieuse
En mer australe, il y a moins de diversité dans le plancton (organismes microscopiques vivant en suspension et ne se déplaçant que mus par les éléments) que dans la population des organismes benthiques, c’est-à-dire vivant dans les sédiments des fonds marins.
« Des plongeurs de l’équipe sont allés collecter des organismes benthiques avec un filet sur des transects. Comme il n’y a pas de caisson de décompression à bord du voilier et que l’on est loin de toute infrastructure hospitalière, ils se sont limités aux zones peu profondes, de l’ordre de 20 à 25 mètres. »
« Ces organismes de petite taille vivant dans des zones peu profondes sont très mal connus. Cela va prendre énormément de temps pour les identifier. » Avec à la clé, certainement, la découverte de nouvelles espèces.
A la fin de la mission en mars, l’équipe de Bruno Danis a confié son frigo de 400 litres rempli d’échantillons à ses collègues espagnols, qui l’ont ramené sur leur bateau de recherche jusqu’en Espagne. Les échantillons viennent d’arriver en Belgique, les analyses peuvent commencer.