Sofia Baltazar prône un système alimentaire agroécologique

6 août 2018
par Véronique Pipers
Durée de lecture : 6 min

SERIE (1/6) Têtes chercheuses

Sofia Baltazar est ingénieure agronome de l’université de Gembloux (ULiège). Comme toutes les doctorantes rencontrées cet été, au moment de s’orienter, elle a souhaité laisser un maximum de portes ouvertes et a choisi l’option agronomie générale. Après ses études et une pause voyage, elle a travaillé durant deux ans comme conseillère en agriculture et environnement à la FUGEA (Fédération Unie de groupements d’Eleveurs et d’Agriculteurs). Elle est revenue ensuite vers le monde académique (UNamur) pour mener à bien un projet qui lui tenait à cœur, autour des semences de céréales panifiables. Elle en aussi fait son sujet de thèse.

«  Au départ ma discipline c’est l’agroécologie, considérée à la fois comme une pratique, une science et un mouvement social. A la FUGEA, j’ai rencontré des agriculteurs afin d’étudier les pratiques innovantes mises en place pour plus de durabilité et d’autonomie. Les agriculteurs n’étaient pas satisfaits des semences vendues dans le commerce. Ils cherchaient à en trouver d’autres et à être autonomes dans la production de leurs variétés. Au même moment en France, les paysans travaillaient en réseau sur cette question-là. Les chercheurs collaboraient avec les paysans et s’inscrivaient dans une démarche participative. Il était peut-être possible de s’en inspirer pour faire quelque chose de similaire en Belgique».

Construire un réseau wallon de semences

On est en 2013. Sofia Baltazar constate qu’il est encore un peu tôt en Belgique pour monter ce projet de sélection participative. Les financements sont difficiles à obtenir, l’équipement fait défaut et les demandes sur le terrain restent marginales. Il apparaît alors clairement à la future doctorante qu’il ne lui est pas possible de porter seule un tel projet : « Si l’on voulait faire émerger de nouvelles alternatives variétales et de nouvelles manières de collaborer entre agriculteurs et chercheurs, une phase d’exploration s’imposait. » Elle se lance alors dans un travail de diagnostic des innovations, des acteurs et des pratiques au niveau local et de la dynamique au niveau régional de ces réseaux de semences. « C’est ainsi que ma thèse en recherche en action participative s’est construite. Parallèlement, j’ai mené un travail de co-construction Li Mestère, un réseau de semences de céréales panifiables en Wallonie. »

Sa particularité : il est constitué d’agriculteurs mais aussi de chercheurs, jardiniers, boulangers et meuniers, tous à la recherche de variétés de semences de qualité différente en réponse à une demande des consommateurs. « L’idée, poursuit Sofia Balthazar, était de mettre ensemble des acteurs déjà préoccupés par cette thématique et de trouver des solutions aux problèmes concrets rencontrés sur le terrain. »

Sofia Baltazar essaie dans un premier temps de comprendre ce que les paysans mettent en place pour trouver des alternatives aux variétés modernes. « Certains retrouvent des variétés anciennes et puis les cultivent et les améliorent, certains font des mélanges. Leur objectif est toujours de rediversifier la culture céréalière. »

Parcours du combattant

La problématique de départ – au-delà du manque de variétés adaptées à l’agriculture biologique et écologique – est que les variétés actuelles sont sélectionnées sur des critères de rendement davantage que sur la qualité nutritionnelle, dans des conditions propres à l’agriculture intensive, avec beaucoup d’intrants : engrais de synthèse et pesticides.

« En outre, explique l’ingénieure agronome, pour pouvoir être inscrites au catalogue et être commercialisées, ces variétés modernes doivent répondre à une série de critères dont l’homogénéité. Homogénéité signifie une certaine uniformité au niveau génétique. Or, il y a une série d’avantages (meilleure résilience en cas d’événements climatiques ou de maladies par exemple) étayés par la littérature scientifique à diversifier les variétés mais aussi à augmenter la diversité au sein d’une même variété. On peut s’y prendre de différentes manières : soit mélanger les variétés modernes, avec les limites évoquées plus haut, soit retourner vers les variétés anciennes si possible libres de droits ; afin que les agriculteurs se réapproprient leur autonomie semencière et puissent les améliorer pour développer des variétés paysannes. »

Mais se réapproprier la semence est un parcours du combattant, au niveau technique (culture, outillage, récolte) et au niveau de la transformation et de la gestion de la semence.

Les variétés anciennes poussent – et c’est juste un exemple – beaucoup plus haut que les blés modernes croisés pour pousser plus court. Ce blé ancien peut donc avoir tendance à verser. Par ailleurs, les machines actuelles ne sont pas conçues pour le récolter. Et si l’on travaille avec un mélange de semences, au moment de la récolte il arrive que les maturités diffèrent. Il faut réapprendre à observer les blés, réapprendre aussi à choisir les variétés les plus adéquates et toutes les techniques de tri et de nettoyage de la semence. « C’est beaucoup de travail et d’apprentissage pour l’agriculteur. D’où l’intérêt d’être en réseau pour faciliter cette gestion. »

Remettre de la diversité dans les cultures

Construire ce réseau a nécessité une réévaluation continue. Une collection de variétés anciennes conservée dans des fermes et dans des jardins de particuliers a été mise en place. « Chaque année, ils reçoivent un échantillon de semences et à la fin de la saison, ils en ramènent les gerbes. Une séance de battage annuel est organisée et ensuite les semences sont reconditionnées et redistribuées et on recommence… »

Un volet expérimenta au niveau de la sélection a quant à lui lieu dans les fermes. Dans les fermes, des essais expérimentaux sont menés pour aller au-delà de la conservation et essayer que chacun ait accès à la variété qui s’adapte le mieux à son mode de culture. Petit à petit, les agriculteurs doivent s’équiper pour tendre vers un fonctionnement mécanisable, que ce soit pour la récolte mais aussi le nettoyage et le tri du grain car aujourd’hui cela reste un travail d’abord manuel avec les limites que l’on imagine : « Le passage à la mécanisation reste un défi. On est en train de réfléchir à la manière de collectiviser du matériel, mais tout le monde récolte en même temps ; ce n’est pas évident. »

En dépit des obstacles, Sofia Baltazar est heureuse de participer à remettre de la diversité dans la culture des céréales et à la transition vers un système alimentaire plus agroécologique.

« Cela commence à concerner tout le monde. Même dans des institutions plus conventionnelles, on sent un intérêt croissant.

L’après-thèse ? Vraiment, elle n’en sait rien. Faire une pause, s’occuper de son petit garçon et peut-être, qui sait ?, mettre en place finalement ce fameux projet de sélection participative, maintenant que les conditions semblent plus favorables.

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