Depuis des milliards d’années, elle opère le même voyage à travers le globe. Par l’action du Soleil, l’eau présente sur Terre se transforme en vapeur, jusqu’à former des nuages. Elle retombe ensuite du ciel en précipitations, alimentant les océans, les cours d’eau et les sols, pour s’évaporer à nouveau vers l’atmosphère, et ainsi de suite. C’est ce qu’on appelle le cycle hydrologique.
Etudier les interactions entre les phases atmosphériques et terrestres du cycle de l’eau est la mission des scientifiques de l’unité de modélisation hydrométéorologique de l’Institut Royal Météorologique (IRM).
« Nous étudions plus particulièrement les précipitations, l’humidité du sol et l’évapotranspiration », précise Françoise Meulenberghs, responsable de l’unité de recherche. A l’aide de modèles numériques, les scientifiques suivent ces différents phénomènes qui jouent un rôle prépondérant dans la météo et le climat de notre planète.
L’évapotranspiration, une étape cruciale du cycle de l’eau
L’un des modèles développés par l’équipe est destiné à la surveillance de l’évapotranspiration et des flux de chaleur (http://lsa-saf.eumetsat.int/ ). « L’évapotranspiration est une composante importante du cycle de l’eau, puisque le processus assure le transfert de l’eau des sols et de la végétation vers l’atmosphère. Il désigne à la fois l’évaporation des eaux emmagasinées dans les sols et points d’eau (lacs, cours d’eau…), et la transpiration végétale, qui permet aux plantes de réguler leur température et de faire circuler la sève », explique Françoise Meulenberghs.
Pour qu’il s’opère, le processus nécessite de l’énergie (chaleur) qui est prise dans l’air ou au végétal. « La quantité d’énergie nécessaire au processus est désignée comme le flux de chaleur latente. Sur 100 % d’énergie qui arrivent au sol sous forme de rayonnement solaire ou thermique, 30 % sont en moyenne exploités sous forme de flux de chaleur latente. L’énergie non-consommée soit sera renvoyée vers l’atmosphère, c’est le flux de chaleur sensible, soit chauffera le sol, c’est le flux de conduction dans le sol. »
Pour évaluer ces variables, les chercheurs exploitent divers produits satellitaires déduits du capteur SEVIRI embarqué à bord des satellites météorologiques Météosat de seconde génération d’EUMETSAT, l’organisation européenne chargée de l’exploitation des satellites météorologiques, et de l’Agence Spatiale Européenne (ESA).
La Meuse et l’Escaut sous surveillance
L’évapotranspiration étant responsable d’environ 60 % des précipitations sur le globe, le processus fait également partie des variables simulées par le modèle hydrologique « SCHEME » de l’IRM. Un outil qui calcule la relation pluie-débit des bassins-versants de la Meuse et de l’Escaut (De Schelde, en néerlandais).
« Concrètement, on entre dans ce modèle numérique des données météorologiques (température, vitesse du vent, rayonnement solaire, humidité de l’air, pression atmosphérique…) et, surtout, des données sur les précipitations », développent Pierre Baguis et Emmanuel Roulin, chercheurs à l’unité de modélisation hydrométéorologique. « Le modèle va alors pouvoir simuler, au quotidien, l’évapotranspiration potentielle et réelle, l’humidité des sols, l’état des réserves souterraines, et les débits des cours d’eau des bassins de la Meuse et de l’Escaut. »
Dans le cadre du projet EODAHR, financé par BELSPO, les scientifiques de l’IRM, en collaboration avec la KU Leuven et l’Université de Reading (Grande-Bretagne), cherchent à améliorer ce modèle en exploitant des données satellitaires.
« Pour ce faire, on utilise les données recueillies par l’instrument ASCAT à bord des satellites MetOp d’EUMETSAT/ESA. Elles nous permettent de mettre à jour les données d’humidité du sol calculées par le modèle SCHEME », indique Pierre Baguis, investigateur principal de l’étude. L’idée étant d’affiner le calcul et d’ainsi améliorer la performance des simulations du modèle. « Les premiers résultats sont prometteurs, et une analyse approfondie est en cours. A l’avenir, on aimerait aussi améliorer la capacité des prévisions du modèle. »
En plus de réaliser une simulation quotidienne des débits, SCHEME peut effectivement prédire les débits des principaux affluents de la Meuse et de l’Escaut sur neuf jours sur base des prévisions d’ensemble du Centre Européen de Prévisions Météorologiques à Moyen Terme. Ces prévisions de débits sont notamment transmises à la Région Wallonne, chargée de la gestion des cours d’eau, et donc de la prévention des crues et inondations associées.
« Dans les jours qui ont précédé les inondations de juillet 2021 qui ont touché le bassin de la Meuse, les prévisions de débits fournies indiquaient un risque assez élevé de crues pour certains cours d’eau », se rappelle Emmanuel Roulin. « Mais ces crues ont été bien plus fortes que celles calculées par le modèle, car les précipitations réelles ont aussi été plus intenses que prévues. »
Des événements extrêmes liés au dérèglement du climat
D’après l’IRM, les observations du nombre de jours de fortes précipitations en Belgique montrent une augmentation significative depuis 30 ans. Dans une étude internationale à laquelle a participé l’Institut, les chercheurs ont établi un lien entre ces événements extrêmes et le changement climatique.
Selon eux, des intempéries comme celles de juillet 2021 ne se produisent normalement qu’une fois tous les 400 ans. Mais cette probabilité est aujourd’hui plus élevée en Europe, en raison de l’augmentation de la température globale de 1,2 °C par rapport à la fin du 19e siècle. Le risque de précipitation extrême a ainsi été multiplié par un facteur allant de 1,2 à 9, alors que l’intensité des précipitations extrêmes a augmenté, quant à elle, de 3 à 19 %.
A contrario, dans le bassin méditerranéen et dans les zones tropicales et intertropicales, c’est l’intensité et la fréquence des périodes de sécheresse qui augmentent. Avec un impact direct sur la santé des végétaux. Au VITO, l’Institut flamand de recherche technologique, le groupe Vito Remote Sensing produit les données du paramètre le plus connu pour suivre l’état de la végétation dans le monde, l’indice ENDVI (Enhanced Normalized Difference Vegetation Index).
« On absorbe quotidiennement les observations enregistrées par l’instrument AVHRR à bord des satellites MetOp, puis on les traite en images de synthèse globales sur 10 jours », précise Bart Deronde, géographe et chef de l’équipe Remote Sensing Applications.
En quinze ans de mesures, les chercheurs ont pu constater certaines évolutions : « Dans l’est de l’Afrique, on voit que la sécheresse frappe la région depuis plusieurs années, de même que dans l’est du Brésil. »
La Terre en surchauffe
Suivre la modification du couvert végétal via les satellites est utile pour les modèles climatiques, « car la couche de végétation influe de manière importante le bilan radiatif, à savoir la quantité d’énergie reçue et perdue par la Terre », rappelle Bart Deronde.
De fait, en cas de sécheresse, la plante va limiter sa transpiration pour survivre. Ce qui a pour effet de réduire l’apport de vapeur dans l’atmosphère, et donc sa participation à la formation de nuages. Or, ces nuages jouent un rôle important dans l’équilibre radiatif de la Terre en réfléchissant vers l’espace une partie importante du rayonnement solaire. Aussi, un couvert végétal stressé par l’absence de pluie conduit indirectement la Terre à absorber plus de rayonnement solaire qu’elle n’en réémet vers l’espace. Avec pour conséquence, un emballement du réchauffement du système climatique.
On comprend donc toute l’importance des observations satellitaires et des modèles mathématiques associés pour évaluer et prédire les processus en lien avec le cycle de l’eau, et les effets qu’ils ont sur le climat actuel et futur.