L’open access comme règle de base pour les publications scientifiques

6 octobre 2016
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

L’accès à la littérature scientifique va devenir automatique et surtout gratuit en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le gouvernement de la FWB vient en effet de donner son feu vert à un projet de décret en ce sens. Dans le jargon, on parle d’ « open access ».

 

« Cela concerne toutes les recherches scientifiques qui ont bénéficié d’un financement public en FWB », explique le Pr Bernard Rentier, spécialiste de l’open access et ancien recteur de l’Université de Liège (ULg).

 

26.000 journaux scientifiques dans le monde

 
« Cela porte sur ce que j’appellerais la « littérature scientifique de roulement », celle qui relate les avancées de la recherche dans des publications périodiques. Les livres sont donc exclus de cette nouvelle réglementation. Par contre, les articles publiés dans des revues scientifiques, comme « Nature », « Science » ou bien d’autres (il en existe quelque 26.000 dans le monde!) sont concernés dès lors que ces recherches ont été en tout ou en partie financées par de l’argent public ».

 
Pour ceux qui lisent cette littérature, cela devrait simplifier l’accès à l’information et aux résultats récents de la recherche, et surtout, y permettre un accès sans frais.

 

Les journaux scientifiques ne sont en effet pas gratuits. Un abonnement d’un an à « Nature », par exemple, revient à un peu plus de 200 euros. Une somme à multiplier par le nombre d’abonnements nécessaires pour un laboratoire, une institution et auquel il faut encore ajouter les abonnements à d’autres journaux scientifiques, moins généralistes, plus en prise directe avec le « cœur du métier » de tel ou tel labo.

 
Meilleure visibilité de la recherche et source d’innovations

 
« Pour les scientifiques qui publient leurs résultats de recherche, cette obligation de libre accès devrait accroître leur visibilité », souligne de son côté le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Jean-Claude Marcourt (PS), à l’origine de cet avant-projet de décret.
Un ministre qui insiste aussi sur le fait que l’accès libre à la littérature scientifique devrait également profiter aux entreprises qui innovent.

 
« L’échange et le partage du savoir et du savoir-faire scientifique sont des conditions essentielles à la progression de la science » précise-t-il. « Le savoir est ainsi protégé de transactions financières qui freinent largement sa diffusion. L’information publique doit rester publiquement accessible et ce, sans entraves ».

 
« En effet, la recherche de haut niveau est essentielle. Non seulement pour permettre aux établissements d’enseignement supérieur de tenir leur rang dans un paysage international de recherche et d’éducation de plus en plus compétitif mais aussi pour permettre aux entreprises de relever le défi de l’innovation ».

 

Dépôt d’archives ouvert

 
Concrètement, dès la publication des résultats d’une recherche, le contenu en sera rendu instantanément accessible dans un dépôt d’archives ouvert.

 
« On y trouvera immédiatement, soit une copie complète de l’article scientifique, soit au minimum les métadonnées le concernant (noms des auteurs, titres, mots clés, références de l’article, etc.) », précise le Pr Rentier. « Cela dépendra des accords spécifiques avec les éditeurs. Certains demandent à ce que les articles ne soient rendus publics qu’après un certain délai. Typiquement six mois pour les sciences exactes et les sciences de la vie et douze mois pour les articles en sciences humaines. »

 
Avec ce décret, la Belgique francophone se met en phase avec ce que réclame l’Union européenne en matière d’open access pour les recherches financées par les pouvoirs publics. Il est à noter que les universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont déjà mis sur pieds des dépôts institutionnels d’articles scientifiques en libre accès. Une pratique encouragée par le F.R.S.-FNRS, le Fonds de la Recherche scientifique.

 

Payer… pour publier

 

L’université de Liège, pionnière en la matière, dispose d’un tel dépôt institutionnel depuis huit ans. « Et cela fonctionne parfaitement bien », souligne le Pr Rentier. « Les chercheurs ont bien compris l’intérêt à y verser leurs articles ».

 

« L’accès libre à la science est un enjeu contemporain primordial qui doit avoir comme objectif ultime l’amélioration de la vie en société et la lutte contre la désinformation », dit encore le Ministre. « L’accès au savoir et donc à l’éducation reste finalement le meilleur rempart contre les extrémismes et dogmes en tout genre. »

 

Revers de la médaille, pointé par le Pr Rentier. Si en effet, les journaux scientifiques se plient à cette nouvelle obligation, ils compensent par contre leur manque à gagner… sur le dos des chercheurs. « Ceux-ci doivent désormais passer à la caisse pour publier », indique encore Bernard Rentier. « Pour la publication d’un article dans « Nature », c’est 4.500 euros », précise-t-il.

 
 

L’ULg dépense chaque année 3 millions pour ses abonnements

 

« Le prix de l’abonnement à Nature (209 euros par an), comme indiqué ci-dessus, est en fait le prix de l’abonnement individuel que payerait celui qui souhaite un abonnement personnel », nous fait remarquer Paul Thirion, directeur de la « ULg Library » (le réseau des bibliothèques de l’université de Liège).

 

« Hélas, l’éditeur nous impose, en tant qu’université, un prix institutionnel beaucoup plus élevé. En ce qui concerne l’ULg, ce prix pour la seule revue Nature est, par an, de plus de 10.400 euros HTVA! C’est une pratique très courante des éditeurs de vendre leurs revues aux institutions à des prix beaucoup plus élevés que le prix pour des abonnements individuels. Mais Nature fait partie des recordmans en la matière ».
 

« Si les revues savantes ne coûtaient que 200 euros par an chacune il n’y aurait pas eu cette révolte mondiale qui a été à l’origine de l’Open Access. La seule Université de Liège dépense actuellement plus de 3 millions d’euros par an pour souscrire aux abonnements dont ses chercheurs ont besoin. Et encore, d’année en année, nous sommes obligés de procéder à des suppressions de titres parce que nos moyens ne nous permettent pas de suivre les augmentations annuelles de 5 à 7% (et parfois bien plus !) imposées par les éditeurs ! Aucune université dans le monde ne peut suivre de telles inflations de prix ! »
 

« Mais bien entendu, le combat pour l’OA n’est pas qu’un combat économique. Il est aussi, surtout, un combat éthique », conclut-il.

 
 

Note: Les derniers paragraphes (« L’ULg dépense chaque année 3 millions pour ses abonnements ») ont été ajoutés au texte principal le 6 octobre à 21h25.

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