Le pollen est, avec le nectar, l’unique ressource alimentaire des pollinisateurs. Il joue un rôle évident dans le développement des abeilles et des colonies de bourdons. Pour Romain Moerman, doctorant à l’Unité d’évolution biologique et écologie de l’Université Libre de Bruxelles, la raréfaction de certaines espèces de plantes serait une des explications au déclin des bourdons et abeilles sauvages.
Le régime des pollinisateurs en question
« Les causes de la disparition des pollinisateurs restent multifactorielles » explique le biologiste. « On peut citer l’urbanisation, le réchauffement climatique, l’utilisation de produits phytosanitaires… Mais on sait aussi que l’intensification des pratiques agricoles du siècle dernier a entraîné la rarification de certaines espèces de fleurs et plantes sauvages aux pollens essentiels au maintien et à la croissance des colonies. Un processus associé au déclin actuel des colonies ».
En collaboration avec divers apiculteurs, le laboratoire de zoologie de l’UMONS et le laboratoire de chimie analytique de Gembloux Agro-Bio Tech ont étudié trois espèces de bourdons: le bourdon terrestre (Bombus terrestris), une espèce assez abondante en Belgique, le bourdon des arbres (B. hypnorum), et le bourdon des prés (B. pratorum).
Du pollen pur pour les bourdons
« On a reproduit en laboratoire les conditions de nidification idéale des bourdons. Nous avons recréé des dizaines de micro-colonies, composées de 4 à 5 ouvrières, dans des salles d’élevage présentant 60% d’humidité pour 28°c », indique le doctorant.
Tous les 2 jours pendant 3 semaines, ces ouvrières ont été nourries de plusieurs variétés de pollens. Ces pollens ont été dans un premier temps achetés auprès de commerçants spécialisés. Ensuite, ils ont été récoltés par les chercheurs sur le terrain.
« Pour ce faire, on a placé des ruches d’abeilles domestiques à proximité des espèces de plantes dont nous souhaitions tester le pollen. Une trappe à pollen avait préalablement été installée à l’entrée de la ruche. De cette manière, le pollen récolté par une abeille était récupéré à son retour».
Les besoins de l’étude exigeaient que ce pollen soit « pur » c’est-à-dire ne correspondant qu’à une seule espèce de plante. « Nous avons donc dû trier le pollen au microscope ».
Des nutriments particuliers à chaque pollen
Les chercheurs ont mesuré la croissance des micro-colonies en comptant le nombre d’œufs, de larves et de pupes (le stade intermédiaire entre la larve et le bourdon), et ce suivant le régime alimentaire des bourdons. L’analyse de la composition chimique des pollens a également permis de déterminer quels composés influencent sa valeur nutritive.
« On sait depuis quelques années que certains pollens sont plus nourrissants grâce à leurs concentrations élevées en protéines. Mais on constate aujourd’hui que les stérols (comme le cholestérol) jouent aussi un rôle important, tout comme les acides animés ».
« Nous avons noté dans l’étude que plus un pollen présente des concentrations hautes en acides animés, plus la colonie se développe rapidement. De plus, certains pollens possèdent des types de stérols qui jouent un rôle important dans la santé de l’insecte », résume le chercheur.
La mise en péril du trèfle violet
A terme, cette recherche offre un nouvel outil pour évaluer les espèces de plantes à privilégier afin d’améliorer le rendement des colonies de certaines espèces de bourdons.
Mais cette thèse pointe aussi la responsabilité humaine dans la disparition des ressources alimentaires des pollinisateurs. Si l’étude a montré que le pollen de trèfle est très nourrissant pour les bourdons terrestres, elle indique aussi qu’il est nettement moins abondant dans la nature aujourd’hui.
Cette légumineuse fourragère était dans le passé cultivé pour l’alimentation du bétail. « Et la littérature scientifique indique clairement que ce pollen de trèfle violet était récolté en quantité par les bourdons » affirme Romain Moerman.
Faute de rentabilité, la culture de cette plante a été remplacée principalement par celle de céréales. « Là où certaines espèces de bourdons sont parvenues à compenser la diminution de cette ressource alimentaire en variant leur alimentation, d’autres sont restées fidèles au trèfle. Ces espèces courent dès lors un plus grand risque d’extinction,» affirme le chercheur.
Les perspectives sont d’élargir le projet à d’autres d’autres espèces d’hyménoptères. Avec comme objectif d’évaluer clairement l’impact de la disparition des ressources alimentaires sur ces insectes.