Chloé Grevazet, François Dubois, artisans verriers de la société française les Infondus, et Allain Guillot (au centre, avec un chapeau), maître verrier et meilleur ouvrier de France, travaillent le verre à vitre à l’Archéoparc de Rochefort © Géraldine Frère

Les demeures de l’Empire romain avaient déjà des vitres

6 novembre 2023
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 7 min

Les vitres existaient déjà du temps des Romains. Mais comment étaient-elles produites ? Géraldine Frère y consacre sa thèse de doctorat réalisée au sein du département d’Histoire de l’Art et Archéologie de l’UNamur. Elle vient d’avoir recours à l’archéologie expérimentale. Deux fours romains ont, en effet, été construits à l’Archéoparc de Rochefort (Malagne) et des artisans verriers ont utilisé les outils d’alors pour mieux comprendre la réalité des gestes et des techniques de leurs ancêtres gallo-romains. Les 87 vitres produites sont désormais minutieusement étudiées par la chercheuse.

Deux fours romains à Rochefort

De précédentes fouilles menées par divers chercheurs en plusieurs endroits de l’Empire romain ont révélé les matériaux utilisés ainsi que la forme de la substruction des fours de verrier, c’est-à-dire de leur partie basse. « Aucun four de verrier complet n’a été retrouvé, mais on connaît fort bien les fours de potier », précise Géraldine Frère. C’est sur cette base qu’au mois de mai 2023, ont été érigés les deux fours utilisés dans le cadre de l’expérimentation archéologique qu’elle a menée à Malagne. Ce projet, dénommé Specularia, a été rendu possible grâce à un financement participatif.

Le premier est un four de fusion. « Il est d’assez grande taille, capable de recevoir 4 creusets, chacun rempli de 4 kilos de verre à faire refondre. Il est muni d’un alandier, c’est-à-dire d’une bouche par laquelle on insère les bûchettes de chêne qui vont, par leur combustion, porter la température du four à 1100°C. Soit la température à laquelle le verre fond. »

Four de fusion © Géraldine Frère
Construction du four de fusion © Géraldine Frère
Construction du four de fusion © Géraldine Frère
Enfournement du verre dans le four de fusion © Géraldine Frère
Dans le four de fusion, les 4 creusets où est déposé le verre à faire refondre © Géraldine Frère

Le second four est dit de recuisson. « Lorsque le verre est mis en forme par les artisans, sa température est encore très haute. S’il reste à l’air libre, la différence de température va le faire éclater. Pour éviter cela, on le place durant toute la journée dans un four à température plus basse : entre 400 et 450°C. La nuit, non alimenté, sa température baisse, ce qui permet de davantage encore refroidir le verre en douceur », précise Géraldine Frère.

« J’ai mesuré finement les températures atteintes au moyen d’un thermomètre. Bien sûr, celui-ci n’existait pas du temps des Romains. Pour avoir une idée de la température dans leurs fours, ces derniers se fiaient à la couleur de la suie. »

Schéma du four de recuisson. Le support portant les vitres à faire refroidir lentement est dans le four, maçonné dans les parois. En pointillé, dans la vue de face, il s’agit de la structure interne du four. Contrairement au four de fusion, l’alandier est directement dans le four © Géraldine Frère
Face recto du four de recuisson © Géraldine Frère
Vitres à faire refroidir déposées dans le four de recuisson © Géraldine Frère

Pour faire sortir ces deux fours de terre, la chercheuse a mis la main à la pâte, aidée par Chloé Grevazet et François Dubois, artisans verriers de la société française les Infondus. « Notre rôle au sein du projet de recherche Specularia a été de construire et de faire fonctionner les fours de travail. De par notre expertise, acquise par de nombreux projets de ce type, nous avons également apporté notre savoir-faire verrier quant à la mise en œuvre des vitres par coulage. Ainsi que via la fourniture des plaques et moules en argile fabriqués par notre atelier et utilisés pour la mise en forme des vitres », expliquent les deux artisans.

Du verre à faire refondre

Ce qui faisait rêver les Romains, c’était le cristal de roche. Une pierre d’une transparence et d’une brillance inouïes. Dans le but d’atteindre cette perfection dans leurs vitres, ils utilisaient du sable du Belus, un petit cours d’eau au nord de Haïfa, sur la côte syro-palestinienne. Le verre est, en effet, issu de la fusion du sable. Et celui du Belus était d’une telle pureté que les Romains espéraient qu’il donne des vitres de haute qualité.

« Mais pour former du verre, il fallait que le four de fusion chauffe à au moins 1500°C, une température impossible à atteindre pour les Romains. Ils ont alors eu l’idée d’ajouter du natron, c’est-à-dire du carbonate de sodium, dont la vertu est de jouer le rôle de fondant et donc d’abaisser fortement la température de fusion du verre. Cette soude minérale, aussi utilisée dans la momification, était prélevée dans le lit du Nil lorsque celui-ci s’asséchait. »

Le sable et le fondant étaient mélangés dans un atelier primaire et portés à fusion. La grande dalle de verre qui en émanait était ensuite débitée en petits blocs et envoyés dans des ateliers secondaires de production de verre plat, comme celui construit à Rochefort dans le cadre de Specularia, pour y subir une refonte. A noter qu’à cette matière première venaient se greffer les vitres cassées et hors d’usage provenant des fenêtres. Le recyclage avait déjà cours au 1er siècle de notre ère.

Verre fondu sorti du four de fusion pour être travaillé © Géraldine Frère
Travail du verre à vitre à l’ancienne par Chloé Grevazet, des Infondus, et Allain Guillot, maître verrier et meilleur ouvrier de France © Géraldine Frère
Travail du verre à vitre à l’ancienne par Chloé Grevazet, des Infondus, et Allain Guillot, maître verrier et meilleur ouvrier de France © Géraldine Frère

Premiers résultats

Une fois fondu, le verre est sorti du four de fusion et le contenu du creuset est versé sur une plaque en forme de cadre rectangulaire. Trois modèles ont été testés : 18 x 20 cm, 20 x 25 cm et 25 x 30 cm.

« Un premier résultat de l’expérimentation archéologique a trait à la façon dont le verre était étalé. En effet, jusqu’alors, on pensait qu’une seule personne suffisait. Mais l’expérience, menée en juillet 2023 avec l’aide de Allain Guillot, maître verrier et meilleur ouvrier de France, a montré qu’une fois étalé d’un côté, le verre se recroqueville de l’autre côté. Il faut donc être deux, travailler avec le même outil (un couteau, une truelle et un crochet ont été testés) et exercer en même temps une force régulière et similaire sur les 4 coins de la vitre en formation. »

« L’expérience a aussi révélé que les outils devaient être munis d’un long manche pour éviter de se brûler les mains. »

« A l’instar de la farine déposée dans le moule à tarte, pour éviter que le verre ne colle sur le cadre en argile, il faut utiliser un séparateur. Plusieurs séparateurs ont été testés. Tous sont des matériaux que l’on retrouvait dans les ateliers verriers romains. La chaux a été abandonnée, car marquant trop fortement le verre d’une allure bosselée de peau de crapaud. Par contre, le charbon de bois et le sable se sont révélés être de très bons séparateurs, apportant même pour le second un aspect granuleux aux vitres retrouvé régulièrement sur les matériaux archéologiques que j’étudie», précise Géraldine Frère.

Géraldine Frère tenant des ferrets munis d’une patate (boulette d’argile) au bout pour cueillir le verre © Géraldine Frère

Du verre de qualité différente suivant le statut

Qui avait des vitres à ses fenêtres ? Uniquement les riches ? « On sait par la littérature que les villas étaient dotées de vitres. Il s’agit d’établissements agricoles possédant des thermes dans leur partie d’habitation. Ces termes étaient dotés de vitres, ainsi que certaines autres pièces fonctionnelles. A Herculanum, il y a même la preuve d’une construction d’une véranda », explique Géraldine Frère.

«Mais plus j’étudie les matériaux archéologiques, plus je me rends compte des fortes disparités dans la qualité des verres produits. Dès lors, il se pourrait que les plus pauvres aient mis, eux aussi, des vitres à leurs fenêtres, mais de moins bonne qualité que les plus nantis. C’est une hypothèse que je dois creuser », conclut la chercheuse.

Haut depage