En ces temps de distanciation physique, l’« e-santé » a-t-elle son avenir devant elle ? En Belgique et en France, patients comme médecins ont longtemps boudé cette forme de consultation. Mais son remboursement par la sécurité sociale et la crise sanitaire ont fait décoller les chiffres en flèche. La PME belge moveUP, implantée à Bruxelles et à Gand, fait une percée internationale dans ce domaine, notamment grâce à un financement accordé par le Conseil européen de l’innovation.
Fondée en 2015 par Dr Philippe Van Overschelde, chirurgien orthopédique, et Charles-Éric Winandy, moveUp se focalisait initialement sur la rééducation du genou ou de la hanche via une application. Aujourd’hui, la start-up propose une plate-forme d’e-santé afin d’optimiser les probabilités de guérison et de réduire le coût des traitements, ceci à la plus grande satisfaction des patients.
Autre consécration, belge celle-ci, l’INAMI a accepté il y a deux mois de rembourser les patients qui utilisent l’application développée par moveUP et alloue désormais deux forfaits au kinésithérapeute, l’un pour le suivi à distance et l’autre pour le bracelet et le protocole de soins. Résultat : les patients sont totalement remboursés par la mutuelle et l’assurance hospitalisation pour le ticket modérateur.
« C’est devenu mon entraîneur »
La démarche de la start-up repose sur deux principes : rendre les patients acteurs de leur traitement et les mettre en contact permanent avec des kinésithérapeutes ou des médecins grâce à une « clinique virtuelle » et des téléconsultations désynchronisées. Conséquence : les patients suivis pour une rééducation font leurs exercices quand cela leur convient et les kinés leur répondent au meilleur moment.
Concrètement, deux à trois semaines avant leur opération, les patients reçoivent un bracelet doté de capteurs qui vont mesurer différents paramètres comme l’activité physique et la qualité du sommeil. Une application installée sur leur smartphone enregistre les informations sur le niveau de douleur, la prise de médicaments, le bien-être général, etc. L’algorithme développé par moveUP va ensuite proposer un programme de revalidation personnalisé. Tel est le cœur de son métier : organiser la préparation, le télésuivi et la rééducation de patients en chirurgie orthopédique et bariatrique (pour traiter notamment l’obésité).
« J’étais sceptique au départ, raconte Caroline Dobbels qui a subi deux opérations en 4 mois pour implanter des prothèses aux genoux. Mais je me suis sentie accompagnée et recevais rapidement les réponses à toutes mes questions, de sorte que moveUP est devenu mon entraîneur. »
Une aide européenne
En juin de cette année, la PME reçoit un soutien financier de 2,7 millions d’euros octroyé par l’accélérateur du Conseil Européen de l’Innovation (EIC) pour sa R&D et son expansion internationale.
Les dirigeants n’y croyaient pas : 4.000 dossiers ont été reçus à Bruxelles et la Commission ne pouvait retenir que maximum 70 projets. La start-up est la seule entité belge à faire partir du lot.
« Pour espérer être financées, les entreprises doivent démontrer le haut potentiel de changement radical de leur solution, ainsi qu’un haut niveau de risque, maîtrisé et anticipé. La PME moveUP est parvenue à convaincre un jury européen dans ce sens », explique Frédéric Suche, point de contact Horizon 2020 à Bruxelles.
Cette impulsion financière va lui permettre d’accélérer son expansion en Europe. « La Commission a reconnu que le frein à l’innovation n’était pas, dans ce cas-ci, d’origine technologique, mais lié à l’absence d’intégration européenne des soins de santé. Faire accepter notre plateforme fut un parcours du combattant en Belgique et le sera aussi dans les autres pays. Le financement de l’EIC a pour but de montrer que la technologie fonctionne ailleurs en Europe», explique Charles-Éric Winandy, cofondateur et directeur de moveUP.
L’obtention du crédit européen, fut-elle aussi un parcours du combattant ? Charles-Éric Winandy relativise : « Par rapport à l’obtention de subsides de la Région bruxelloise ou de la Région wallonne, la Commission européenne n’est pas plus compliquée. Et nous avons eu un bon soutien de la part du ” Hub Brussels ” ; ainsi qu’un coup de chance : notre dossier a été bouclé 5 jours avant le confinement… »
Face à la Covid-19
Mais les temps sont durs pour les petites entreprises. « Notre activité connaissait une croissance rapide au début de cette année . Mais la Covid-19 y a donné un sérieux coup de frein, la plupart des chirurgies non-urgentes ayant été postposées. On note aujourd’hui une reprise puisque, Covid oblige, les séjours à l’hôpital sont raccourcis et que la rééducation à domicile a la côte», poursuit Charles-Éric Winandy.
Depuis peu, moveUP propose une application pour la Covid-19, reconnue par le gouvernement belge. Celle-ci permet le suivi, le conseil et l’assistance aux patients qui ont souffert de la maladie et qui ont besoin de kinésithérapie respiratoire et/ou d’exercice physique (certains patients pouvant perdre jusqu’à 50% de leur masse musculaire).
A Bruxelles, la Clinique Saint-Jean et une soixantaine de médecins généralistes la recommandent à leurs patients. « C’est comme si j’étais à l’hôpital, mais de manière virtuelle », explique ainsi Youssef Aissa, qui a contracté la Covid-19 et a terminé sa convalescence à la maison après une semaine d’hospitalisation.
Les chiffres le confirment : en Belgique et en France notamment, la télémédecine est plébiscitée depuis l’arrivée de la Covid-19. Favorisant l’accès de tous à des soins sur l’ensemble du territoire, cette technologie est devenue, en quelques semaines, un outil essentiel pour l’accompagnement et le suivi médical des patients.
Cap sur l’Europe
Et l’aventure se poursuit : les dirigeants de moveUP espèrent obtenir aux Pays-Bas le même accord qu’en Belgique pour le remboursement de soins. « Nous allons mettre en place aux Pays-Bas une plateforme pour quelque 600 patients de chirurgie orthopédique », poursuit Charles-Éric Winandy.
« Nous faisons également nos premiers pas en France, au Royaume-Uni et en Allemagne pour y développer la technologie et obtenir les agréments nécessaires. Dernière nouvelle, un subside nous a été octroyé par la Région bruxelloise pour collaborer avec la VUB en vue d’évaluer, grâce à notre plateforme, la qualité de la marche d’un patient non seulement lors de sa rééducation, mais également en phase préopératoire. Cela permettra de valider la nécessité d’une intervention chirurgicale. »
Plongée dans les turbulences actuelles, moveUP voit donc l’avenir de l’e-santé en rose et en Europe.