Le Conseil des recteurs des universités francophones de Belgique (CREF) vient de publier un long mémorandum sur l’état de “définancement” de leurs institutions depuis une quinzaine d’années.
La faute en incombe à un système dit “d’enveloppe fermée” en vigueur depuis 2006. L’enveloppe fermée est un régime par lequel la subvention globale allouée aux universités par la Fédération Wallonie-Bruxelles n’est pas liée au nombre d’étudiants mais à l’indice des prix à la consommation.
Depuis l’adoption de ce mode de financement, cette enveloppe a augmenté de 16,7% en euros constants alors que sur la même période la croissance économique était deux fois plus importante (30,1%). En outre, durant la même période, le nombre d’étudiants est passé de 63.000 à plus de 82.000 dans les universités, soit une augmentation de 37%.
Un peu plus d’argent pour beaucoup plus d’étudiants dans un contexte économique plus “cher” : voilà les principales clés de ce que les recteurs appellent le définancement des universités.
A l’approche des élections, le CREF tire la sonnette d’alarme et propose quelques pistes pour redresser la barre. Bernard Rentier, recteur de l’Université de Liège, est aussi le président du CREF. Il nous détaille l’ampleur du problème.
INTERVIEW
Bernard Rentier, comment se traduit concrètement le définancement des universités francophones de Belgique ?
Cela se marque à tous les niveaux, qu’il s’agisse de l’entretien des bâtiments, de l’accueil que nous offrons aux étudiants ou encore en ce qui concerne la recherche et l’attractivité de la carrière académique.
En même temps, il y a une sorte de paradoxe belge. Je dirais presque de miracle belge. Le financement par étudiant en Belgique francophone est un des plus bas d’Europe. Malgré cela, nous continuons à offrir un enseignement qui n’a pas la réputation d’être mauvais. Et notre recherche est encore bien située au niveau international. Nous arrivons encore à réaliser de grandes choses avec peu de moyens.
Mais à force de tirer sur la corde, elle s’use. Les étudiants ont de moins en moins d’encadrement. Et il en va de même pour les enseignants, d’un point de vue technique et administratif. Dans certains cas, on en arrive à sacrifier certains aspects de la formation gourmands en personnels, comme les travaux pratiques, les stages, les travaux personnels ou en petits groupes d’étudiants qui demandent plus d’encadrement que lorsqu’on dispense un cours à 400 étudiants réunis dans un auditoire…
Le problème porte-t-il uniquement sur une question de moyens ?
Tout le monde s’accorde à dire que la recherche, l’éducation et la formation sont les piliers de la société de la connaissance qui assureront notre bien-être dans le futur. Cela passe par des politiques cohérentes et les moyens y afférents. Pour les universités, et dans une moindre mesure les Hautes Ecoles, il y a un déséquilibre. Il faut oser prendre le problème à la racine.
Si les moyens ne sont pas au rendez-vous, cela veut-il dire que les universités vont devoir procéder à des choix stratégiques radicaux pour survivre ?
Ce genre de réflexion est déjà amorcée. Nous devons être réalistes et préparer l’avenir. Nous réfléchissons déjà aux restructurations qui permettraient de concentrer certains enseignements dans certains lieux. Je pense surtout aux masters qui selon leurs orientations se concentreraient dans certaines universités. Cela va toutefois à l’encontre de ce qui est aujourd’hui préconisé : c’est-à-dire attirer les jeunes vers les études supérieures via une logique de proximité géographique.
Dans un premier temps, nous devrions dresser un inventaire de nos compétences réciproques et analyser la pertinence de leur maintien ou non dans telle ou telle université en fonction des moyens disponibles. L’idée étant à terme de proposer, sur l’ensemble de la Belgique francophone, une université complète, une université globale qui ait la possibilité d’offrir tout le panel des études universitaires envisageables, voire même de développer de nouvelles formations en phase avec l’évolution de la Société.
Mais il faut s’assurer que toutes les matières restent présentes et accessibles en Belgique francophone. Certaines formations très spécialisées risquent sinon de disparaître. Ce qui mènera à un appauvrissement culturel et intellectuel proportionnel à l’appauvrissement financier auquel nous devons faire face.
La manière de financer les universités doit-elle être revue de fond en comble, se baser sur de nouveaux critères ?
Les avis divergent sur cette question. Le système actuel est favorable aux petites institutions. Si on introduit d’autres critères, par exemple, la qualité ou le volume de la recherche mené dans telle ou telle université, ils seront automatiquement défavorables aux universités “incomplètes”. Il n’y a pas de consensus à ce propos aujourd’hui.
Par ailleurs, cela pose une autre question tout aussi fondamentale : comment mesurer la performance en recherche d’une institution ? Comment faire de la scientométrie ?
L’expérience flamande dans ce domaine est claire. Le critère de la Recherche a été intégré dans leur mode financement. Résultat : on constate un déséquilibre dans les moyens alloués. Un déséquilibre qui n’est pas à l’avantage des plus petites universités. Ce n’est pas nécessairement le bon système.
Va-t-on dès lors nécessairement évoluer vers l’émergence d’une seule université francophone globale en Belgique ?
Cette réflexion est en route. La mise en place de l’ARES, une académie centralisée de recherche et d’enseignement supérieur en FWB est clairement un pas en ce sens.
Lire aussi :
L’Université de Namur a publié en mars 2014 une étude sur “le financement et les dépenses d’enseignement et de recherche fondamentale en Belgique : évolutions et comparaisons communautaires et internationales”.
Le Conseil d’administration de l’ULB a adopté début avril une motion concernant sa “Revendication d’un refinancement de l’enseignement supérieur”.
Le FNRS, qui finance plus de 2500 chercheurs en FWB, a également publié ces derniers jours un mémorandum concernant son plan de refinancement, baptisé PHARE-2, pour la période 2015-2019. Ce mémorandum pointe notamment le déficit en matière de financement public de la Recherche en Belgique: 0,65% du PIB pour un objectif européen de 1%.