Le microbiote intestinal influence nos comportements alimentaires

7 juin 2023
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

Notre tube digestif abrite des centaines de milliards de bactéries, virus, parasites et champignons non-pathogènes. Un ensemble qui constitue notre microbiote intestinal. Les recherches des dernières années montrent que celui-ci influence nos fonctions digestives, métaboliques, immunitaires ou encore neurologiques.
Dans une étude récente, des chercheurs de l’UCLouvain et du WEL Research Institute ont testé l’hypothèse selon laquelle le microbiote jouerait aussi un rôle dans le fonctionnement du système de la récompense alimentaire. Situé dans le cerveau, ce système est responsable du plaisir ressenti quand on mange, conditionnant ainsi nos préférences et fréquences alimentaires.

Si l’on sait que la régulation de l’appétit et de la sensation de faim est en partie réalisée par le microbiote, l’effet de ce dernier sur la modulation du plaisir alimentaire reste encore largement méconnu.

Quand le plaisir de manger est détraqué

Au cours de l’évolution, un circuit de la récompense s’est développé dans le cerveau de tous les mammifères pour les inciter à réaliser certaines tâches assurant leur survie, comme boire, manger, se reproduire, etc. Ce système « récompense » leurs exécutions en libérant dans l’organisme des molécules impliquant un sentiment de satisfaction, ce qui encourage l’auteur à les répéter.

Dans le cadre de l’alimentation, la consommation fréquente d’aliments riches en sucres et en graisses sur-stimule ce système, ce qui peut entraîner son dysfonctionnement. On devra alors manger davantage d’aliments gras et sucrés pour atteindre cette sensation de plaisir, conduisant souvent à une prise de poids, voire à l’obésité.

Cette dérégulation du système de la récompense alimentaire est, par ailleurs, susceptible de mener à des comportements compulsifs comme le « binge eating » (en français, on parle d’hyperphagie boulimique ou encore de frénésie alimentaire). « Ce trouble du comportement alimentaire se manifeste par une consommation récurrente et dans un cours laps de temps de grandes quantités d’aliments, dépassant les besoins en calories au cours d’une journée », fait savoir Amandine Everard, chercheuse qualifiée FNRS et investigatrice du Wel Research Institute dans le groupe de recherches Metabolism & Nutrition du Louvain Drug Research Institute.

« Selon les derniers chiffres, les troubles de l’alimentation toucheraient 8% de la population mondiale, et, parmi les plus fréquents, on trouve le binge eating. Aujourd’hui, il est estimé que 10 à 20% de la population obèse souffrent de ce trouble. »

Un lien entre microbiote et système de la récompense encore peu exploré

Si cette défaillance du système de la récompense alimentaire peut être provoquée par la prise régulière d’aliments gras et sucrés, le microbiote intestinal – étant lui-même altéré par la consommation de produits riches en sucres et en graisses – pourrait également exercer une influence.

« Il y a 5 ans, j’ai mis sur pied une équipe dans le but d’investiguer ce champ de recherche novateur », précise la Pre Everard. « Dans le cadre de la thèse de la Dre Alice de Wouters d’Oplinter réalisée au laboratoire, nous avons cherché à savoir si une altération du microbiote par l’obésité était suffisante pour affecter le système de la récompense alimentaire. »

Pour le déterminer, les chercheurs ont rendu obèse un groupe de souris en leur fournissant une alimentation très riche en graisses. Ils ont ensuite prélevé leurs matières fécales, qui contiennent leurs microbiotes, afin de les transplanter à un autre groupe de souris de poids normal. « Pendant 2 semaines, le groupe de souris transplantées a été placé dans des cages avec un accès à un levier leur permettant d’obtenir, une fois pressé, une petite boulette de sucre aromatisé au beurre de cacahuètes. »

En vue de mesurer la motivation des animaux à obtenir cette récompense alimentaire, les scientifiques ont progressivement augmenté le nombre de fois que ce levier devait être actionné. « La première récompense était obtenue par 3 pressions, la seconde récompense après 6 pressions, la troisième par 9 pressions, etc. ».

Vers une meilleure prise en charge des compulsions alimentaires ?

A la fin de l’expérience, les scientifiques ont constaté que les souris transplantées avec le microbiote intestinal provenant de souris obèses ont actionné environ 1.000 fois ce levier, quand le groupe contrôle ne l’a fait que 500 fois. « Cela montre que ces souris étaient très motivées à obtenir cette récompense alimentaire, ce qui suggère le développement d’un comportement compulsif.» Aussi, la transplantation du microbiote altéré des souris obèses dans des souris normales a été suffisante pour modifier chez ces dernières plusieurs marqueurs du système de la récompense alimentaire.

L’équipe d’Amandine Everard va maintenant tenter de déterminer les mécanismes en jeu dans le microbiote responsables de cette dérégulation. « Grâce à une collaboration avec des chercheurs de l’Université de Laval (Canada), nous avons identifié un métabolite présent en grande quantité dans le sang, les intestins et le cerveau des souris transplantées. Nous avons démontré que ce métabolite a un effet sur le système de la récompense. Mais il ne peut pas être le seul responsable des effets observés chez les sujets. Sa présence n’explique pas tout. »

Ces résultats apportent la première preuve que modifier le microbiote pourrait constituer une stratégie thérapeutique pertinente à investiguer afin de mieux traiter les patients souffrant de compulsion alimentaire.

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