Le cerveau des patrons, des entrepreneurs, des sportifs de haut niveau, fonctionne-t-il comme celui du citoyen lambda ? Pour répondre à cette question, le neurologue belge Steven Laureys, spécialiste des états de conscience altérée, a soumis le cerveau de Frédéric Mazzela, le patron de BlaBlaCar, à une expérience. À Paris, à l’invitation du service Recherche de Wallonie-Bruxelles International, et dans le cadre du salon technologique VivaTech, il a tout simplement mis à nu le cerveau du patron pendant quelques minutes.
Observer la dynamique cognitive en direct
« En plaçant trois électrodes sur son front, et en les reliant à un écran, nous pouvons observer son activité cérébrale, sa dynamique cognitive », explique le Directeur de recherche du FNRS (ULiège), devant le public venu découvrir son travail.
Depuis deux ans, Steven Laureys poursuit sa carrière à l’Université Laval, au Québec. Il dirige également des recherches à l’hôpital universitaire d’Harvard (États-Unis). « Bien entendu, au laboratoire, pour tenter de mieux cerner le fonctionnement d’un cerveau, nous travaillons avec bien plus d’électrodes : on en compte 256! Mais pour cette démonstration-ci, ces trois capteurs et leurs 120 signaux suffisent amplement. »
Dans son état normal d’activité, le cerveau de Frédéric Mazzela est hyper actif. Tous les canaux sont saturés. À l’écran, le rouge et le jaune sont omniprésents.
« Il pense à de multiples choses, il rebondit sans cesse d’une idée à l’autre, cela va dans tous les sens. C’est cela qu’on visualise », explique Steven Laureys. « Mais il y a moyen de l’apaiser ».
Effectivement, une fois l’exercice de méditation mis en place, les couleurs vives fournies par les signaux des électrodes se « calment ». Sur les indications du neurologue, le patron ferme les yeux et se concentre sur sa respiration. Les résultats de l’exercice sont évidents. À l’écran, le bleu prend le relais et domine.
La méditation aide aussi les athlètes de haut niveau
« Cette expérience illustre comment nous pouvons orienter le fonctionnement de notre cerveau. En mode libre, il joue une symphonie. Une symphonie qu’on peut amener à être focalisée sur une pensée, une mélodie principale », dit le neurologue, qui explore l’impact de la méditation sur le cerveau.
« Ce genre d’exercice est aussi bénéfique pour les athlètes de haut niveau », souligne-t-il. « Nous sommes à quelques jours des Jeux olympiques de Paris. Quel stress pour ces sportifs! À un moment bien précis, ils vont vouloir réaliser la meilleure prestation de toute leur carrière. Or, le sport de haut niveau, ce n’est pas qu’une question de préparation physique et d’entraînements musculaires. Cela se passe aussi dans la tête. En étudiant leur cerveau, nous apprenons beaucoup de choses sur leurs capacités à contrôler ce qui se passe dans leur tête, sur la façon dont ils se concentrent sur une tâche ».
La conscience artificielle? C’est une aberration!
Et cela dans quelle perspective ? « Comme nous sommes à VivaTech, cela doit nous amener à réfléchir à l’impact de la technologie sur notre vie », dit encore le Pr Steven Laureys. « C’est une invitation à prendre conscience de notre santé mentale dans le monde hypertechnologique, hyperconnecté que nous connaissons aujourd’hui, avec le métaverse, les avatars, etc. Nous devons apprendre à nous reconnecter à notre réalité: celle de l’être humain. »
« Quand on porte un casque de réalité virtuelle, on vit une expérience. On a l’illusion d’être ailleurs. Mais on est toujours dans son corps. Si on commence à avoir mal à la tête, c’est bien notre cerveau qui nous envoie un signal. On a parfois tendance à l’oublier. J’entends parfois parler de conscience artificielle. C’est une aberration! Pour moi, il y a plus de conscience dans le cerveau d’une mouche que dans un super ordinateur. »
La technologie n’est qu’un outil au service de l’humain
« Ici, à VivaTech, on voit bien que les développements technologiques sont très dynamiques. Il y a beaucoup de jeunes. C’est enthousiasmant. Mais attention, ce n’est pas la technologie qui va nous sauver. Elle n’est qu’un outil au service de l’humain. »
« Nous apprenons beaucoup de nos études menées sur le cerveau des patrons, des sportifs de haut niveau, des entrepreneurs et d’autres profils exceptionnels. Principalement sur la flexibilité cognitive, la capacité du cerveau à s’adapter à des réalités continuellement en évolution. Ce sont des capacités que nous pouvons tous développer », affirme-t-il.
Le sommeil n’est pas une perte de temps
« Cela doit aussi permettre de rendre la médecine d’aujourd’hui meilleure. Elle est hyper spécialisée et technologique. Mais il ne faut pas perdre de vue que les patients doivent y jouer un rôle plus central. On vient d’une médecine verticale. Nous devons davantage être dans le dialogue, dans la prise en considération globale du patient. Cela n’a pas de sens de prescrire un médicament à un patient qui a des migraines si on ne prend pas en considération sa vie, ses habitudes, son mal-être au travail, s’il dort mal… Notre cerveau est sensible à la privation de sommeil. Clairement, le sommeil n’est pas une perte de temps. »
« Pour moi, en tant que médecin, la neurodiversité est une vraie richesse. Accepter qu’on soit tous différents est un pas dans la bonne direction vers une meilleure médecine. Et cerner le fonctionnement de cerveaux extraordinaires, comme celui de Frédéric Mazzela, nous permet de traduire cela dans nos réalités, avec nos patients », conclut-il.