Navifusa majensis, microfossile de la Formation McDermott en Australie. Vieux de 1,75 milliard d'années, il contient des thylakoïdes. Ce qui permet de l'identifier comme une cyanobactérie © Emmanuelle Javaux

Aux origines de l’oxygène sur Terre

8 janvier 2024
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Accrochez-vous, on remonte le temps. Il y a 1,75 milliard d’années, des cyanobactéries possédaient déjà des thylakoïdes. C’est-à-dire des membranes dotées du matériel permettant à ces organismes procaryotes ancestraux de produire massivement de l’oxygène moléculaire (O2) par photosynthèse. Cette découverte est le fruit de travaux menés par l’équipe d’Emmanuelle Javaux, professeure ordinaire et directrice du laboratoire Early Life Traces & Evolution-Astrobiology (ULiège). Ce travail ouvre les portes d’une compréhension plus fine des premières traces de vie. Ainsi que des mécanismes évolutifs qui ont eu cours sur notre planète dans sa prime jeunesse.

Une prison d’argile aux grains très fins

Afin de remonter le temps de plus d’un milliard d’années, les scientifiques échantillonnent des roches très anciennes dont la granulométrie fine est susceptible d’avoir préservé des traces de vie. « Cela ne se fait pas au hasard. Pour augmenter nos chances de découvrir des fossiles, on cible des régions du monde où les processus géologiques (formation de chaînes de montagnes, circulation de fluides chauds, etc.) n’ont pas trop altéré ces roches anciennes. Mais aussi des environnements et des types de roches particuliers », explique Pre Javaux.

Les shales, des schistes argileux, sont au centre des intérêts au sein de son laboratoire. « Il s’agit de boues durcies et compactes dites indurées, de roches riches en argile à grains extrêmement fins qui préservent très bien la matière organique. Imaginez un océan ou un lac : la boue sédimente, se dépose, se compacte et finit par emprisonner les cellules présentes, lesquelles sont aplaties parallèlement aux lamines de roche. Bien qu’elle la transforme un peu, la fossilisation est un phénomène exceptionnel, qui préserve la paroi organique des cellules. »

Une identité démasquée par l’ultrastructure

Dans le cadre du doctorat de Catherine Demoulin, analysant l’évolution des cyanobactéries à travers le temps, des cellules fossiles particulières prélevées en Australie ont été étudiées. « Elles sont déjà connues du monde scientifique et ressemblent à une espèce de saucisse aplatie microscopique. Or, cette morphologie très simple est commune à un grand nombre d’organismes. Dans la littérature scientifique, il existe de nombreuses hypothèses concernant leur identité : cyanobactéries, cystes, morceaux d’algues eucaryotes ou encore unicellulaires eucaryotes. »

Dans ce jeu du « Qui est-ce » plurimillénaire, le laboratoire liégeois a utilisé différentes approches. L’une d’elles, c’est l’ultrastructure. « En utilisant un microscope électronique à transmission, on peut observer la structure fine de la paroi des cellules fossiles, ainsi qu’à l’intérieur de celle-ci. Cela nous a permis de découvrir des thylakoïdes bien préservés dans ces cellules fossiles. Et donc d’identifier ces dernières comme étant des cyanobactéries actives, réalisant la photosynthèse oxygénique », explique Pre Javaux.

Et de préciser, « ce sont les plus anciens thylakoïdes jamais découverts : ils datent de 1,75 milliard d’années. Cela repousse l’âge des thylakoïdes fossiles de 1,2 milliard d’années! » C’est donc au minimum il y a 1,75 milliard d’années qu’a eu lieu la divergence entre cyanobactéries portant des thylakoïdes et celles qui en sont dénuées. Ces dernières, dotées d’une bien moins grande surface active, sont également capables de réaliser la photosynthèse et de rejeter de l’O2, mais d’une façon très nettement moins efficace que les cyanobactéries avec thylakoïdes.

Un outil précis pour détecter la production ancestrale d’O2

Ces cellules fossiles étaient contenues dans une roche qui avait été analysée auparavant par d’autres chercheurs. Utilisant des approches géochimiques, ils en avaient déduit que le milieu était … anoxique, c’est-à-dire dépourvu d’oxygène. En y découvrant des fossiles de cellules réalisant la photosynthèse oxygénique, l’équipe de la Pre Javaux bouscule ces précédents résultats. Et met sur le devant de la scène une nouvelle façon de procéder, plus précise.

Pour déterminer la présence passée d’O2, les outils géochimiques cherchent des changements chimiques, isotopiques et minéralogiques au sein des roches. Leur résolution est trop basse pour détecter des productions d’oxygène infimes ou ponctuelles ou locales. Or, au tout début du phénomène d’oxygénation de la planète, la production d’O2 était certainement marginale. D’où l’importance du nouvel outil biologique pour la mettre au jour.

Mieux connaître la Terre primitive

« Dans le cas où, à l’avenir, on trouverait des fossiles de chloroplastes (organites dotés de thylakoïdes, réalisant la photosynthèse oxygénique chez les cellules eucaryotes, NDLR), notre nouvel outil devrait nous permettre de détecter et d’identifier les premières algues apparues sur Terre. Et de reconstruire leur diversification au cours du temps », explique Pre Emmanuelle Javaux.

De plus, la recherche de thylakoïdes par ultrastructure pourrait se révéler utile pour comprendre le phénomène de grande oxygénation de la Terre (GOE) qui, selon les analyses de roches, s’est déroulé il y a quelque 2,4 milliards d’années. « A partir de 3 milliards d’années, il y a des petits indices d’oxygénation, mais ils sont alors intermittents. Ensuite, à partir de 2,4 milliards d’années, au niveau planétaire, on assiste à une oxygénation qui ne s’arrête plus. Elle est d’abord de 1 à 5 % du niveau actuel d’oxygène dans l’atmosphère, puis augmente progressivement. »

« Si l’on sait que cela est l’œuvre de cyanobactéries, on ignore par contre de quel type il s’agit : avec ou sans thylakoïdes ? Selon certaines hypothèses de la littérature, les cyanobactéries auraient déjà développé des thylakoïdes il y a 2,4 milliards d’années. Cela aurait boosté la production d’oxygène, laquelle serait devenue permanente à ce moment-là. Nous souhaitons tester cette hypothèse », conclut Pre Emmanuelle Javaux.

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