Trois crânes de momies de babouins du site ancien de Gabbanat-el-Qurud en Egypte © Bea De Cupere / IRSNB

Le traitement paradoxal des babouins en Egypte antique

5 janvier 2024
par Daily Science
Durée de lecture : 6 min

Les Égyptiens de l’Antiquité élevaient des babouins en captivité avant de les momifier. Cette découverte est le fruit de recherches menées par Wim Van Neer, archéozoologue de l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique et ses collègues. « Malgré qu’ils soient des animaux sacrés, ils ne menaient pas une vie facile. Ils souffraient de malnutrition et d’un manque de lumière du jour », explique-t-il.

Un large bestiaire

Pendant plus d’un millénaire, du IXe siècle av. J.-C. au IVe siècle après J.-C., les anciens Égyptiens ont momifié des millions d’animaux, les considérant comme des incarnations divines parmi les Hommes.

Chats, taureaux et ibis sont fréquemment trouvés dans les anciennes nécropoles. Ainsi qu’occasionnellement d’autres espèces telles que des crocodiles et des babouins.

Ces derniers étaient très rares. Ils étaient vénérés en tant que représentations de Thot, dieu de la Lune et de la sagesse, et conseiller du dieu du soleil Rê.
« De tous les animaux vénérés par les Égyptiens de l’Antiquité, les babouins étaient les seuls à ne pas être originaires de l’Égypte et à devoir être importés », explique Dr Wim Van Neer.

« Nous en savons encore très peu sur la manière dont ils se procuraient ces animaux et sur les conditions dans lesquelles ils gardaient les babouins avant leur momification. »

Les restes de babouins sont conservés au Musée des Confluences à Lyon © Bea De Cupere / IRSNB

Déformations du squelette

Pour réaliser cette étude, les chercheurs ont examiné une collection de momies de babouins provenant du site égyptien ancien de Gabbanat el-Qurud, la dénommée Vallée des Singes, sur la rive ouest de Louxor.

L’équipe a étudié les ossements d’environ 36 individus de babouins appartenant à deux espèces, le Babouin hamadryas (Papio hamadryas) et le Babouin olive (Papio anubis), datant de 800 à 500 av. J.-C.

Les restes proviennent de fouilles menées en 1905 et 1906 par une équipe française du Muséum d’Histoire Naturelle de Lyon, où ils sont toujours conservés.
La description originale, qui date d’il y a près de 120 ans, accordait relativement peu d’attention aux déformations des squelettes des babouins de Gabbanat el-Qurud. Wim Van Neer et ses collègues ont réexaminé les restes, en mettant l’accent sur la paléopathologie (l’étude des maladies anciennes à travers l’analyse des fossiles d’animaux) pour en savoir plus sur les conditions dans lesquelles les babouins étaient gardés.

« Seuls quatre des babouins semblaient en bonne santé ; tous les autres présentaient des déformations », explique Dr Van Neer. « Ils avaient souvent des membres courbés, signe de rachitisme causé par un manque de vitamine D dû à un ensoleillement insuffisant. »

Les chercheurs ont également observé de nombreuses déformations du crâne et de la mandibule. Un apport nutritionnel déséquilibré et insuffisant pourrait également expliquer en partie les déformations des squelettes. « La plupart des babouins ont sans doute souffert de malnutrition et d’un manque de lumière du jour. »

Les scientifiques analysent les crânes de babouins au Musée des Confluences à Lyon © Stéphanie Porcier

Grandir en captivité

Les anomalies des squelettes à Gabbanat el-Qurud indiquent que ces babouins ont souffert de mauvaises conditions de logement et d’une alimentation inappropriée pendant la majeure partie de leur vie.

Cela suggère que les animaux sont nés et ont été élevés en captivité. La proportion à peu près égale de mâles et de femelles, ainsi que la présence de jeunes, indiquent également qu’une population locale de babouins a été élevée pour répondre à la demande.

Les conditions de vie difficiles des babouins de l’Egypte ancienne semblent être en contraste frappant avec le traitement respectueux et minutieux que les animaux recevaient après leur mort, en tant que momies.

Mais Dr Van Neer ne pense pas que les intentions de jadis étaient mauvaises : « Ils essayaient probablement de prendre soin des animaux, mais cela ne devait pas être facile. Les babouins sont de bons grimpeurs et étaient probablement gardés dans des bâtiments ou des enclos aux murs élevés pour éviter qu’ils ne s’échappent. En conséquence, ils manquaient de lumière et avaient des problèmes de développement. Il n’y a pas de signes de fractures osseuses suggérant une maltraitance physique des animaux à l’exception du crâne gonflé d’un individu ayant reçu un coup à la tête. »

Par le Nil et la mer Rouge

Les chercheurs ont également identifié un petit nombre d’individus en bonne santé, probablement importés directement de leur environnement naturel, peut-être pour l’élevage ultérieur.

Les babouins ne sont pas originaires de l’Égypte et devaient donc être importés par des routes commerciales. « Ils ont été chercher ces animaux très loin », explique Bea De Cupere, archéozoologue (IRSNB). « Les Babouins olives venaient du sud, de l’actuel Soudan, et étaient transportés à travers le Nil. »
L’importation des Babouins hamadryas était moins directe. Ils venaient de la Corne de l’Afrique ou de la partie méridionale de la péninsule arabe. « Cela signifie qu’ils devaient traverser la mer Rouge en bateau avant de voyager par voie terrestre à travers le désert ! »

Être capturé et transporté vers l’Égypte antique ne devait pas être un moment agréable dans la vie d’un babouin. Cela est attesté par deux incisives dans la mâchoire supérieure et inférieure d’un des squelettes sains des babouins. « On voit une ligne horizontale sur la dent, c’est ce que nous appelons une hypoplasie », explique Dre De Cupere. « Une telle ligne indique un arrêt temporaire de la croissance des dents en raison d’une période de stress extrême. Cette déformation a probablement été causée par le stress au moment où le babouin a été capturé. Il avait environ 2 ans à l’époque. L’animal a vécu encore 6 ans en captivité, d’après l’usure de la dentition. »

Incisives dans la mâchoire supérieure et inférieure d’un babouin présentant une hypoplasie (indiquée par une flèche). Cette déviation est probablement due au stress au moment de la capture du babouin © Bea De Cupere / IRSNB

Études ultérieures

Ces résultats fournissent des informations sur la manière dont les babouins étaient gardés et traités en Égypte antique avant d’être momifiés.

Cependant, il reste des choses à apprendre. Par exemple, les auteurs suggèrent qu’un examen plus approfondi des dents des animaux pourrait fournir davantage de données sur leur régime alimentaire exact. S’il était possible d’extraire de l’ADN de leurs restes, il serait possible de déterminer où les animaux avaient été capturés et quelles étaient les pratiques d’élevage de leurs gardiens.

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