« Pour enrayer le réchauffement de la planète dû à nos émissions de gaz à effet de serre, plantons des arbres! Pour protéger la biodiversité, misons sur l’agriculture intensive plutôt qu’extensive ». Bonnes ou fausses bonnes idées ? Protéger nos sols, en tirer le meilleur parti et s’en servir pour résoudre nos problèmes les plus pressants peut sembler simple. « Grossière erreur », disent en chœur une cinquantaine de scientifiques spécialisés dans la question des sols et de leur utilisation. Dans un article « Perspectives », le Pr Patrick Meyfroidt, chercheur qualifié FNRS à l’UCLouvain et premier auteur de ce texte, met en garde.
« Nous assistons ces dernières années à une prise de conscience globale par rapport à de nombreux enjeux qui touchent la planète », se réjouit-il. « Je pense à la crise climatique, à celle qui touche la biodiversité, l’accès à l’eau, les questions énergétiques… Toutefois, nous avons toujours trop tendance à considérer ces problèmes de manière individualisée, sectorielle, alors qu’ils sont interconnectés les uns avec les autres. Un dénominateur commun à ces problèmes se situe dans l’usage que nous faisons des terres qui sont à notre disposition. C’est là que les interconnexions s’établissent. C’est là que nous voulons remettre les pendules à l’heure », dit-il en substance.
Les solutions miracles n’existent pas
« Avec notre travail, en effectuant un relevé de 10 vérités scientifiques bien établies concernant la problématique de l’usage des terres, nous espérons mobiliser ces prises de conscience pour passer à l’étape suivante. Il faut prendre en compte plus systématiquement les interconnexions qui existent entre ces diverses problématiques. Et dans le même temps, lutter contre nos approches segmentées. »
« Il faut cesser de proposer des solutions miracles destinées à régler les problèmes un par un. Cela ne fonctionne pas. Ces solutions miracles n’en sont pas. Leur mise en œuvre fait perdre du temps. Et au final, elles peuvent même être mauvaises. Prenons les changements climatiques: pendant tout un temps, l’idée de produire des biocarburants a été mise en avant. Mais est-il vraiment pertinent de mobiliser des terres de qualité pour ce type de production ? »
Ne pas négliger les connaissances scientifiques établies et vérifiées
Un autre exemple avancé par le chercheur concerne la plantation massive d’arbres. « Si l’idée est séduisante pour lutter contre les changements climatiques, elle n’est pas idéale partout, si elle nécessite des compromis avec d’autres fonctions telles que la production de nourriture ou la préservation de la biodiversité. Vous pouvez tenir le même raisonnement avec l’artificialisation des surfaces, la substitution de matériaux de construction (comme le béton par du bois), l’installation d’éoliennes ou de panneaux solaires ou l’agriculture bio. Lorsqu’il s’agit des terres, il faut adopter une vision très large », plaide-t-il.
Pourquoi cette tendance à ne pas prendre systématiquement une approche globale pour résoudre ces problèmes ? « Parce que les décideurs ne prennent pas assez en compte une série de faits de base, de vérités scientifiques avérées », reprend le chercheur.
« C’est cela que nous mettons en exergue dans cet article scientifique. Nous disons simplement que vouloir régler un problème en se focalisant sur une seule approche, ce n’est pas une bonne idée. Nous n’avons pas de solution toute faite à tous les problèmes. Mais nous pouvons trouver de meilleures solutions en tenant compte de l’ensemble des faits scientifiques connus et établis, que nous avons synthétisés et clarifiés dans notre publications. »
Ces vérités ? Ce sont par exemple celles-ci :
- La terre est un système complexe. Les systèmes terrestres peuvent connaître des périodes de changement brutal, comme la déforestation à grande échelle dans les pays d’Asie du Sud-Est, ce qui rend inexactes les prévisions fondées sur les tendances passées.
- La conversion de l’usage des terres pour une autre utilisation, comme le défrichement de forêts anciennes, le drainage de tourbières ou la conversion de terres agricoles en zones urbaines, crée des impacts qui se répercutent sur des décennies ou des siècles.
- La mondialisation signifie que les décisions relatives à l’utilisation d’une parcelle de terre peuvent être influencées par des personnes, des politiques ou des organisations éloignées.
- Les utilisations du sol procurent toute une série d’avantages, mais un terrain donné ne peut pas tous les procurer simultanément.
- Les inégalités en matière de propriété foncière sont souvent aggravées par des hiérarchies sociales (ethniques, de caste ou de genre). Celles-ci risquent d’être reproduites par les interventions en matière d’utilisation des terres, à moins qu’elles ne soient explicitement abordées.
Une version plus accessible (et en anglais) de l’article cosigné par 50 scientifiques est également accessible sur un site spécifique de l’association Global Land Programme. C’est de celui-ci qu’est tiré le graphique ci-dessus.
« J’ai le sentiment que c’est peut-être le bon moment, que les mentalités ont changé », conclut le Pr Meyfroidt. « Il y a une prise de conscience. Les autorités comme la société me semblent aujourd’hui prêtes à entendre notre discours. Lors des inondations de juillet dernier, on a parlé d’urbanisme et d’utilisation des terres, on a évoqué les conséquences de décisions économiques et politiques sur le quotidien des riverains installés dans ces zones inondables, etc. Il est plus que temps d’avoir une vision globale de l’usage de nos terres. »