Avenue Jeanne, rue Élise, avenue Ernestine… Dans le quartier de l’Université Libre de Bruxelles, on croise plusieurs noms de rues plutôt féminins. De là à penser que les voiries faisant référence à une femme sont nombreuses à Ixelles, il y a un pas à surtout ne pas franchir!
Seuls 4,3 % des rues et autres espaces publics portent le nom d’un personnage féminin dans cette commune. Elle se situe pourtant au-dessus de la moyenne bruxelloise en la matière, comme l’ont constaté les professeur(e)s et les étudiant(e)s en sociologie de l’ULB, suite au séminaire « Genre et Ville » organisé l’an dernier. Les résultats des travaux de ces scientifiques du Groupe d’études et de recherches « Genre et Migration », situé… avenue Jeanne, viennent d’être publiés dans la revue Brussels Studies.
4,2% des voiries réfèrent à un personnage féminin
En réalité, le problème se pose à l’échelle de la Région de Bruxelles-Capitale. Après un relevé systématique des odonymes (les noms portés par les voies de communication comme les rues, les avenues, les boulevards…), les chercheurs et chercheuses de l’ULB constatent que 50 % des voiries de la Région bruxelloise portent le nom d’une personne, mais que 46% concernent un personnage masculin et 4 % seulement un personnage féminin.
En chiffres absolus, cela signifie que sur les 5410 noms de rues, avenues, boulevards, chaussées, drèves, places, squares, mais aussi parcs, tunnels routiers, ronds-points, quais, passages, chemins, venelles et sentiers bruxellois, seuls 226 font référence à un personnage féminin.
Si Ixelles se situe juste dans la moyenne régionale, on notera que les communes bruxelloises présentant, proportionnellement à leur nombre de voiries, une plus grande part d’odonymes féminins sont Bruxelles-ville et Forest avec respectivement 7% et 6,7% de noms de personnages féminins.
En queue de peloton, on retrouve les communes d’Evere et de Saint-Josse avec seulement 1,2% et 1,7% de noms faisant référence à une femme. Toutefois, c’est Schaerbeek qui apparaît comme la commune la plus masculine dans ce contexte. En effet, 1,8% de ses voiries portent un nom plutôt féminin, mais 73,7% portent le nom d’un homme…
« L’étude ne vise pas à retracer l’histoire de l’attribution des noms de rues ou à en présenter une analyse morphologique, mais à proposer, à partir d’un relevé exhaustif des noms de voiries dans la Région de Bruxelles-Capitale, un panorama quantitatif des odonymes féminins et masculins », précisent les auteurs et autrices. Ils et elles pointent qu’en ce qui concerne le centre historique de Bruxelles, ce sont surtout des femmes « hors normes », comme des reines, des princesses, parfois des artistes ou des martyres qui sont ainsi honorées.
Des voiries de moindre importance
Mis à part les chiffres évoqués ci-dessus, les auteurs de l’article dégagent d’autres caractéristiques qui confirment le caractère minoritaire des femmes dans le paysage urbain. Cela passe notamment par le type de voiries concernées.
« 40 % des voiries féminines sont des rues, 23 % des avenues, 8 % des places et 8 % des squares », notent les auteurs et autrices. Ils et elles identifient 6 parcs et 3 boulevards au nom féminin pour 36 parcs et 45 boulevards aux noms masculins.
« Plus on monte dans la hiérarchie des espaces, moins on trouve de noms féminins. Parmi les voiries régionales, 12 portent un nom féminin, contre 181 le nom d’un homme, soit un rapport de 1 à 15. Contrairement aux hommes, aucune femme n’a l’honneur de donner son nom à des voies majeures, sauf si elle est membre d’une famille royale. L’Allée Rosa Luxembourg à Bruxelles-Ville et le Square Maurane à Schaerbeek partagent une caractéristique : il s’agit de terre-pleins entre plusieurs voies qui ont été rebaptisés récemment (respectivement en 2006 et 2019). » Ces opérations n’ont donc pas impliqué de modifications des adresses cadastrales et postales des bâtiments bordant ces voies.
Une féminisation lente et compliquée
Les communes, compétentes en matière d’attribution des noms, affichent des stratégies en faveur de la présence des femmes dans les noms de la ville, tout comme dans la gestion communale, souligne cette étude. Différents groupes de travail, appels à participation de la population ou collaborations avec des collectifs ont notamment été mis sur pied.
L’article rappelle toutefois que derrière une unanimité de façade, des résistances existent dans le chef de certains élus, et parfois de la population, qu’il convient de consulter à propos des changements de noms de rues.
A ces freins, il faut ajouter la difficulté concrète de féminiser les voiries : changer les noms existants s’avère extrêmement lourd et les nouvelles voies à nommer sont rares et généralement de moindre importance. Faute d’opportunité, certaines élues envisagent donc de féminiser plutôt les bâtiments publics, stades, piscines, jardins, parcs, monuments ou arrêts de transports publics.