Punition exécutée par le robot de l’artiste Filipe Vilas-Boas, en prévision de sa désobéissance future © Laetitia Theunis

A Namur, la frontière entre l’humain et la machine s’amenuise

9 mars 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Comment l’homme et la machine construisent-ils leur relation ? Cette question est au cœur de l’exposition « Humans / Machines ». Visitable du 13 mars au 13 juin, elle inaugure le Pavillon. Perché en haut de la Citadelle de Namur, cet ancien pavillon belge de l’Exposition universelle de Milan (2015) offre un espace de 2500 m2 où se succéderont expositions et symposiums questionnant les technologies.

Le Pavillon © Laetitia Theunis

Dès la porte d’entrée poussée, on se trouve projeté dans la vallée de l’étrange. Des écrans diffusent des images issues de centres de recherche scientifique et de sociétés de robotique. On y voit notamment Sofia, premier androïde au monde à avoir reçu la citoyenneté d’un pays (Arabie Saoudite). Ce robot humanoïde est capable d’une grande interaction sociale : en interprétant les émotions véhiculées par un visage humain, elle adapte son comportement. « Plus les créations nous ressemblent, plus elles nous déragent, nous choquent », commente Marie du Chastel, commissaire du Pavillon et du KIKK Festival.

« Pickled Punks » présente une série de robots contenus dans des bocaux de méthanal, apparaissant comme des machines déjà mouvantes, mais encore à naître. L’œuvre questionne notre rapport à la création et interroge notre besoin d’humaniser d’autres entités telles que les animaux ou les objets © Laetitia Theunis
Les 10.000 photos polaroïd de tulipes hollandaises de l’installation « Myriad (Tulips) » © Laetitia Theunis

Orgie de données

« Bien que l’intelligence artificielle se soit fortement perfectionnée ces dernières années, les robots continuent à avoir besoin des humains pour fonctionner. » Notamment d’être nourris en abondance par des données à digérer.

« Myriad (Tulips) » est une installation composée de 10.000 photos polaroïd de tulipes hollandaises. Cet ensemble représente la base de données qui permet d’entraîner l’algorithme créant continuellement de nouveaux types de tulipes, présentés en temps réel sur trois écrans. « La récolte des données est aujourd’hui massivement opérée par les machines, ce travail comme l’ampleur des informations recueillies devient imperceptible. En créant une base de données visible dans l’espace, l’artiste nous ramène à la réalité. »

Un casque pend au mur. Il émet « Daddy’s Car », une chanson qu’on croirait créée par les Beatles. Si l’écriture des paroles et l’arrangement du morceau sont le fait du compositeur français Benoît Carré, la mélodie a été entièrement composée par une intelligence artificielle en se basant sur toute la discographie du groupe anglais.

« The Prayer », une bouche articulée surmontée d’un nez, énonce des prières et des louanges inédites à tous les dieux. Continuellement, elle en crée de nouvelles à partir de textes émanant de toutes les religions du monde entier © Laetitia Theunis

Des intentions pas toujours louables

L’intelligence artificielle peut aussi être utilisée à de sombres desseins. Les « deep-fakes » sont des outils de manipulation de masse. « Ce processus d’intelligence artificielle remplace et synchronise, dans une vidéo, le visage en mouvement et la voix de quelqu’un par le visage en mouvement et la voix de quelqu’un d’autre.»

Il s’agit donc de faire dire des choses à une personne qui n’a jamais tenu ces propos. Comme cette version de « Imagine » de John Lennon, une chanson portant un message de paix collective, soi-disant chanté en cœur par les principaux dirigeants du monde.

Ces derniers mois, les exemples de deep-fakes ont explosé sur Internet. Rendant encore plus difficile la capacité à vérifier la véracité d’une information.

Un apprentissage erroné

« The Normalizing Machine » est une installation interactive sur l’apprentissage d’un algorithme. Chaque visiteur est invité à choisir quelle personne est “la plus normale” à partir d’une liste de participants. La machine analyse les caractéristiques des visages vis-à-vis de la sélection suggérée et affine au fur et à mesure un modèle de normalité basé uniquement sur la subjectivité humaine.

Les artistes s’inspirent, entre autres, du travail d’Alphonse Bertillon. Pionnier français de la police scientifique à la fin du 19e siècle, il est considéré comme le père de la photo d’identité judiciaire. Son système de catégorisation du visage humain (forme du front, du nez, de la bouche, des sourcils, des paupières, éloignement des yeux etc.) a été utilisé, notamment par les nazis, puis par d’autres, pour tenter de faire des liens entre les traits du visage et le taux de criminalité potentiel d’un individu.

Des innovations à gogo

Au deuxième étage du Pavillon, se tient le « Lab ». Cet endroit met en exergue différents projets de recherche scientifique et d’innovations technologiques. « La thématique est l’humain augmenté au moyen d’objets à porter sur soi, regroupés sous le nom « wearables » en anglais » », explique la commissaire de l’exposition.

La part belle est faite aux innovations du  « terroir ». On retrouve ainsi Soline, un assistant vocal évolutif et adaptable à chaque situation créé par deux Namurois pour redonner, aux personnes en perte de mobilité, autonomie et confiance en eux.

Toujours dans le domaine médical et créé par des Namurois, Sunrise est un capteur d’à peine trois grammes, en forme de papillon, à coller sur le menton pour diagnostiquer les troubles du sommeil. « Au cours de la nuit, notre mâchoire bouge. Ces mouvements mandibulaires se font selon la régulation de l’air par le cerveau. Leur analyse, grâce à une intelligence artificielle, permet ainsi de juger de la qualité du sommeil. » Les résultats sont repris sur une application installée sur le téléphone portable.

Enfin, terminons la visite avec une note de musique. Et SoundShirt, un textile technologique créé par une entreprise londonienne. Grâce aux 28 capteurs intégrés dans le tissu, il permet de ressentir physiquement les vibrations de la musique, que ce soit lors d’un concert ou connecté à un téléphone portable lors d’un trajet en métro. Cette innovation permet tant aux personnes malentendantes comme aux autres de vivre une expérience immersive de la musique.

 

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