Auteur du «Nucléaire contre renouvelables» dans la collection L’Académie en poche, l’ingénieur civil physicien et économiste Michel Allé est ébahi par le simplisme et les approximations des débats de politique énergétique en Belgique et en France.
«La parole de nombreux responsables politiques et experts, souvent autoproclamés, relève en général du café du commerce mêlé au combat idéologique», dit-il. «La guerre énergétique polarise, gaspille les énergies. Et empêche de se concentrer sur l’essentiel: la décarbonation est trop lente malgré une amorce réelle. Elle rencontre la résistance active de la plupart des acteurs des fossiles. À commencer par les majors pétrolières. Les lobbies, concentrés d’intérêts individuels sensibles aux résultats semestriels et insensibles au futur de la Terre, sont plus que jamais en action.»
En Belgique, la guerre des religions énergétiques pousse aux invectives, aux excommunications. «Vues des autres pays européens, ces vieilles querelles semblent incompréhensibles et archaïques. Là où les politiques énergétiques sont solides, la priorité est mise sur le couple efficience énergétique et développement massif des renouvelables. Couple que certains ont enrichi d’une dose de sobriété.»
Sites web et tweets s’appuient sur l’invérifiable
Nourri par les meilleurs professeurs du nucléaire à l’époque de son apogée, le professeur honoraire de l’ULB, à la Solvay Brussels School et à l’École polytechnique de Bruxelles, présente des constats équilibrés dans son livre complété par des codes QR explicatifs. Économiste, il se place dans une perspective de longue durée, de globalité. En se basant sur les faits et les chiffres.
«Ma surprise a été de constater combien les faits et chiffres sur le climat et l’énergie sont dans nos têtes biberonnés par la communication», confie l’administrateur indépendant d’Elia Group, gestionnaire du réseau de transport électrique en Belgique et en Allemagne. «Au mieux mal connus. Et, au pire, franchement erronés.»
Lorsque Michel Allé demande à ses étudiantes et étudiants de travailler sur la politique énergétique, sans leur recommander des sources fiables, des poncifs émergent. Alimentés par des sites web, des tweets qui s’appuient sur des données invérifiables.
Quel est donc le pourcentage du nucléaire dans l’approvisionnement énergétique mondial? «4,0%. Telle est la part du nucléaire en 2022. Très rares sont ceux, y compris parmi les « sachants » de l’énergie, qui ont cité un chiffre proche de la réalité. Le plus souvent, c’était 10%. Souvent 20 à 25%. Et parfois même 50%!»
«Un autre chiffre permet de mieux relativiser: 14,2%. C’est la part de toutes les énergies renouvelables en 2022. Plus de trois fois plus que le nucléaire, mais très peu en même temps! Le reste, donc, 81,8%, ce sont des fossiles émetteurs massifs de CO2. Le défi est donc énorme.»
Quatre challenges
Selon l’ancien directeur financier de Brussels Airport et des Chemins de fer belges, quatre challenges sont à relever pour limiter les émissions de CO2. Fournir abondamment et durablement de l’énergie sous forme d’électricité, à coût raisonnable, sans impact sur le climat, avec le nouveau nucléaire, l’hydro-électricité, le solaire, l’éolien et la biomasse. Répondre, rapidement et suffisamment en volume, à l’urgence climatique. Accepter les impacts sur l’environnement des nouvelles installations en faisant la balance entre nécessité, intérêt collectif, attentes locales et individuelles. Résoudre les conséquences à long terme de chaque technologie comme les problématiques des déchets et du démantèlement du nucléaire.
«Le coût des différentes technologies décarbonées est le facteur déterminant dans le choix des meilleures voies pour la transition énergétique. Le coût d’investissement est la majeure partie. Les coûts d’entretien, à court et à long termes, représentent cependant un impact significatif. Quant au coût du combustible, il est soit nul pour le renouvelable. Soit très faible pour le nucléaire.»
Privilégier l’intérêt collectif
«Si l’outil est précieux, sa limite principale est de ne pas intégrer les coûts indirects de chaque source de production d’électricité», observe Michel Allé. «Les réseaux de transport et de distribution doivent s’adapter pour acheminer l’énergie du lieu de production au consommateur final. Et des moyens de flexibilité de la demande et de stockage doivent être développés pour intégrer les sources non pilotables, éolien et solaire. Le coût du système et le coût actualisé du stockage fournissent les réponses à cette limite.»
Pourrait-on accélérer la décarbonation? «Puissent les décideurs comprendre et nous expliquer que le coût de l’inaction est plus élevé que celui de l’action. Privilégier l’intérêt collectif, compréhensible pour tous, lorsqu’on est bien informé.»