Apomorphine, kétamine et psilocybine. Ces noms sonnent comme des produits stupéfiants. Et effectivement, ces substances altèrent le fonctionnement de notre cerveau. Elles sont utilisées pour aider les patients souffrant de la maladie de Parkinson (apomorphine), pour l’anesthésie générale (kétamine) ou plus simplement comme drogue psychédélique (hallucinogène) telle la psilocybine.
À l’Université de Liège, la Dre Olivia Gosseries et son équipe ont étudié les effets de ces substances sur des patients souffrant de troubles de la conscience après un coma. Et cela a livré des résultats surprenants. « Il s’agit d’études de cas », précise d’emblée la chercheuse qualifiée FNRS et directrice du laboratoire de recherche sur le coma, le Coma Science Group. « Ces trois publications récentes de notre laboratoire révèlent des effets surprenants de ces substances sur le fonctionnement du cerveau de certains patients. »
Du coma à l’état de conscience minimale
Quand ils parlent de troubles de la conscience, les chercheurs du Coma Science Group font référence au résultat d’une lésion cérébrale sévère. Il peut s’agir du coma, dans les cas les plus graves. « Normalement il ne dure que quelques heures à quelques semaines », précise Olivia Gosseries. « Dans ce cas, la personne n’est ni éveillée, ni consciente. Elle a toujours les yeux fermés. Elle ne présente que des réflexes. »
« Quand une personne sort du coma, elle récupère l’éveil : elle ouvre les yeux. Si elle demeure inconsciente, on parle d’éveil non répondant, ou de syndrome d’éveil non-répondant. Les patients peuvent ensuite présenter des signes de conscience, sans pouvoir communiquer avec le monde extérieur, c’est ce qui caractérise l’état de conscience minimale. »
C’est pour tenter d’augmenter le niveau de conscience de ces patients que l’équipe de la Dre Gosseries vient d’explorer l’utilité de certaines substances pharmacologiques.

L’apomorphine aide à une meilleure récupération
À commencer par l’apomorphine. « Nous avons donné un traitement à base de cette molécule pendant un mois à une série de nos patients », indique la chercheuse. « Nous avons surveillé l’évolution de l’activité électrique de leur cerveau à l’aide d’électro-encéphalogrammes. Nous avons aussi observé le métabolisme du glucose par tomographie par émission de positron afin de garder un œil sur les connexions cérébrales. Les résultats montrent qu’un an après le traitement, les patients ayant reçu de l’apomorphine présentaient une meilleure récupération par rapport à ceux qui n’avaient pas été traités. La plupart des patients sous apomorphine ont commencé à manifester des signes de conscience qu’ils n’avaient plus et certains ont pu communiquer plus rapidement. »
« Nous avons aussi constaté que l’activité électrique de leur cerveau s’était améliorée. De fait, nous avons observé une augmentation de la connectivité dans les ondes alpha, les ondes rapides du cerveau. Idem pour le métabolisme du glucose dans certaines aires cérébrales. »
Les observations de ces études de (six) cas demandent maintenant à être confirmées. Une étude plus vaste, randomisée et en double aveugle, comme on dit dans le jargon, impliquant deux centres en Wallonie, ainsi que trois centres en Espagne, a été lancée. Elle mise sur l’étude d’une cinquantaine de patients.
Les effets surprenants de la kétamine
C’est exactement le même genre de surprise qui attendait les chercheurs dans leur seconde étude de cas, cette fois avec l’utilisation de la kétamine.
La kétamine est généralement utilisée pour induire des anesthésies générales. En administrant des doses réduites de kétamine, des doses où une personne saine reste normalement consciente, l’équipe liégeoise, composée notamment du doctorant Paolo Cardone et de la post-doctorante Charlotte Martial, a pu montrer chez trois patients que l’injection de cette drogue augmentait la complexité du cerveau.
« Cela s’est traduit par une augmentation des épisodes d’ouverture des yeux », souligne Olivia Gosseries. « Ces patients étaient donc plus éveillés. Cependant, nous n’avons pas observé une augmentation des comportements conscients. Par contre, de manière inattendue, nous avons remarqué que la kétamine réduisait leur spasticité. Ils étaient plus détendus, moins repliés sur eux-mêmes. Ils vivent probablement une sorte de « trip », comme quelqu’un qui consomme des psychédéliques. Ils ont des hallucinations, mais cela ne se traduit pas par des changements dans leur comportement. »
Micro-dose de psilocybine
Cela a amené l’équipe à s’intéresser au cas d’une patiente qui leur avait été référée des États-Unis. Chez celle-ci, c’est l’administration de psilocybine qui semble avoir amélioré temporairement son état. « Après l’administration de psilocybine, la personne a commencé à bouger le côté droit de son corps alors qu’elle n’a jamais pu faire ça de manière spontanée depuis son accident. Et ce, sans pour autant afficher de nouveaux signes de conscience. Ces mouvements peuvent donc être assimilés à des réflexes. Nous avons décrit ce cas qui montre une augmentation de la complexité cérébrale, sans que nous puissions assurer qu’elle ait été davantage consciente vu l’absence d’interactions avec son environnement. ».
La suite? Concernant l’apomorphine et la kétamine, de nouvelles initiatives sont en chantier.