L’autorité est à réinventer

8 mai 2020
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

Alain Eraly s’est intéressé à l’autorité lors de ses nombreuses missions. Dans l’enseignement, les hôpitaux, l’administration ou les mouvements associatifs. En s’appuyant sur de nombreux exemples, le professeur à la faculté de Philosophie et Sciences sociales de l’Université libre de Bruxelles (ULB) propose sa vision du déclin de l’autorité dans «Une démocratie sans autorité?» aux éditions Érès, collection Sociologie clinique.

 

"Une démocratie sans autorité?", par Alain Eraly. Editions Érès. VP 23 euros
“Une démocratie sans autorité?”, par Alain Eraly. Editions Érès. VP 23 euros

La légitimité est en crise

Le membre de la classe Technologie et Société de l’Académie royale de Belgique a expérimenté la difficulté d’être responsable d’un collectif. «Comme formateur d’adultes, j’ai passé des centaines d’heures à explorer avec des fonctionnaires, des managers, des responsables d’institutions, des commissaires de police, des directeurs d’école ou des acteurs politiques, les dilemmes moraux auxquels ils étaient confrontés», précise le sociologue. «Leurs anxiétés, leurs hésitations, leurs ambivalences. Ce qu’ils exprimaient à leur manière, c’est bien cette crise de la légitimité typique de notre modernité démocratique.»

«La crise de légitimité dans nos sociétés est extensive», souligne le chercheur. «Elle frappe les acteurs politiques en particulier, l’autorité en général. L’autorité ne fait plus rêver. Elle évoque arbitraire, abus, inégalité, privilèges plutôt que reconnaissance et prestige.»

On a pourtant recours aux politiques pour garantir la santé, l’emploi, l’éducation, la sécurité, les libertés fondamentales… «Célébrer la fin de l’autorité, c’est confondre la réalité de notre monde social et le fantasme idéologique qu’on en construit.»

Respecter les valeurs de notre temps

Pour le sociologue, le défi n’est donc pas d’apprendre à vivre sans autorité. Mais de créer des formes d’autorité plus respectueuses des valeurs de notre temps. «Une autorité au service des missions, de la démocratie, du débat public, des droits et des devoirs, de la justice et de l’équité, de la transmission des valeurs fondamentales, de la défense du commun contre l’emprise des intérêts privés, de l’adaptation des modes de vie à l’urgence écologique. Tout retour en arrière est proscrit: l’autorité est donc à réinventer.»

Quelle image a-t-on de l’autorité? «Le sens commun nous porte à concevoir la vie sociale sous l’angle du lien et de la réciprocité. Échange de biens, échange de dons, échange d’arguments, reconnaissance mutuelle. L’autorité, dans cette perspective, serait une ressource parmi d’autres que certains acteurs, grâce à leur position, mobilisent dans leurs échanges pour imposer leur volonté aux autres.»

«Sans trop réfléchir, nous dissolvons la vie collective dans la myriade de liens sociaux», ajoute le docteur en sciences sociales et en économie appliquée. «Nous endossons l’individualisme ontologique propre à la vision libérale du monde qui finit par nous rendre incapables d’appréhender les soubassements imaginaires et institutionnels propres à toute société.»

«On ne saurait sous-estimer l’enjeu de cette réduction du collectif à l’échange. Elle fonde notre modernité radicale et explique à elle seule l’ampleur de la crise de l’autorité. La vie sociale n’est pas qu’un échange. Elle est participation au collectif.»

Les Gilets jaunes sont exemplaires

Le visage couvert, les Anonymous réagissent sans l’intervention d’une autorité. Aux ronds-points, les Gilets jaunes revendiquent sans leader. Ils refusent la destruction des ancrages locaux et des liens sociaux de proximité. S’opposent à la domination technologique qui décime les emplois peu qualifiés. Rejettent le langage des experts. Coagulent frustrations et indignations aux résonances émotionnelles alimentées par les réseaux sociaux.

On a tendance à préférer les mouvements citoyens, le peuple aux élus, la société civile au travail parlementaire… «Un ouvrage entier ne suffirait pas à décrire les mouvements de renouveau démocratique qui n’ont pas tenu leurs promesses», rétorque le Pr Eraly qui enseigne la sociologie, la communication et la gestion publique. «Toutes les conquêtes sociales dont nous tirons aujourd’hui fierté résultent de l’action de groupes organisés qui savaient ce qu’ils voulaient. Et qui acceptaient une discipline en leur sein.»

Optimiste, Alain Eraly conclut que, pour l’essentiel, la crise de l’autorité est une bonne nouvelle. «Son érosion engage toute notre modernité et rien ne saurait justifier de faire marche arrière. Sauf régression sismique, nous ne reviendrons pas au monarque de droit divin, à l’école-caserne, au mandarin, au directeur infaillible, au pater familias omnipotent, au caporal-chef tracassier, au petit bureaucrate sanglé dans les procédures. Ceux qui rêvent de rétablir l’ancienne autorité ne la supporteraient pas le temps d’une journée.»

 

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