Le Festival de la BD qui vient de se tenir dans le Parc de Bruxelles en atteste: la bande dessinée a toujours le vent en poupe. En un week-end, l’événement a attiré quelque 100.000 visiteurs. Ce qu’on sait sans doute moins, c’est que le 9e art est aussi un formidable vecteur de diffusion des sciences. L’astrophysicien français Roland Lehoucq (photo) en est convaincu.
Cet inconditionnel des aventures de Tintin apprécie aussi les mangas ou encore les comics américains, dont Superman. Et la lecture qu’il en fait n’est pas strictement récréative. Ce qu’il affectionne, c’est décortiquer la science sous-jacente à ces aventures et s’en saisir… pour initier ses lecteurs à la démarche scientifique.
Pourquoi utiliser ces vecteurs artistiques ? « Parce que, comme la science-fiction, la bande dessinée ou la littérature sont des supports connus et extrêmement populaires », indique le chercheur du Commissariat (français) à l’énergie atomique (CEA), de Saclay, près de Paris. « A ce titre, les utiliser pour attirer l’attention des lecteurs, jeunes ou moins jeunes, sur des principes scientifiques, est une démarche très intéressante. Quand on leur parle bande dessinée ou film de science-fiction, comme Star Wars ou Avatar par exemple, ils vous prêtent une oreille attentive ».
Vertus méthodologiques
Le physicien a signé de nombreux ouvrages de vulgarisation ou plus exactement de popularisation scientifique, comme « D’où viennent les pouvoirs de Superman ? Physique ordinaire d’un superhéros » ou encore « Mais où est donc le temple du soleil ? ». Il ne s’y limite pas à analyser la pertinence scientifique des objets proposés par les auteurs.
« Ma démarche est plus globale », précise-t-il. “Dans ces livres, je propose une enquête sur l’enquête, une réflexion sur ce que l’on voit, avec les connaissances et les outils de la Science. Cela permet donc aussi d’expliquer, de démontrer très pratiquement comment fonctionne la science ».
Mais où est donc le temple du soleil ?
Pour reprendre l’exemple du temple du soleil des aventures de Tintin, l’astrophysicien utilise les indices proposés par Hergé pour déduire sa localisation potentielle. Il tient compte de la date de parution de l’album, il étudie le calendrier des dernières éclipses recensées en Amérique latine, l’heure de l’événement…
L’analyse de ces indices permet à Roland Lehoucq d’introduire au passage quelques notions comme le temps solaire vrai et le temps solaire moyen, le jour sidéral et le jour solaire ou encore le temps universel coordonné, le temps atomique international, le temps universel (de Greenwich)…
Contrairement à Tintin, qui jure « de ne jamais révéler à quiconque l’emplacement du Temple du Soleil », l’astrophysicien français, se basant sur l’éclipse de Soleil du 25 janvier 1944, et quelques calculs astronomiques plus tard, le situe à 770 km au sud de Manaus, au Brésil, près du rio Teles Pires. Il en livre même les coordonnées terrestres.
Sabres laser et démarche scientifique
« La science n’est toutefois pas une sorte de censeur », reprend le scientifique. « Mon propos n’est pas de dire si tel ou tel aspect d’une œuvre littéraire, artistique ou de science-fiction est juste ou pas. Ce genre de démarche est bonne mais bien trop limitée. Par ailleurs, les œuvres ne cherchent généralement pas à être cohérentes scientifiquement. Même si dans le cas d’Hergé, on connaît sa grande rigueur dans ce domaine. Toutefois, on peut s’en servir comme prétexte pour mener une enquête. Avec ce que la science sait. Avec ce qui est juste maintenant et qui ne l’était pas hier… ».
Dans ce contexte, la science et son corpus de connaissances ne suffisent pas à répondre à toutes les questions que la lecture de BD ou d’ouvrages de science-fiction soulève. Répondre à la question : « quelle est la puissance des sabres laser dans Star Wars ? » en ne disposant que des six DVD de la saga est une mission quasi impossible. « Mais l’exercice montre comment un cerveau scientifique va s’y prendre pour apporter une réponse à cette question. Comment il va livrer des réponses imparfaites, des approximations, des hypothèses. C’est cela qui qualifie le travail scientifique, qui le distingue d’autres activités intellectuelles humaines. Et je ne porte pas ici de jugement sur ces autres activités ! »
Redécouvrir la bande dessinée à la lumière des livres de Roland Lehoucq est passionnant. Ecouter une de ses conférences également, telle celle donnée au début de l’été à Bruxelles. Ou encore celle disponible sur le site du CEA et qui posait comme question toute simple : « Le monde d’Avatar est-il réaliste ? » La réponse dure quasi deux heures !