Les premières données devraient arriver dans les laboratoires de l’ULiège avant le 15 septembre. Après moult péripéties, les trois stations météo du projet Katabata devraient, en effet, être installées et arrimées à la roche groenlandaise. Plus précisément dans le sud-est de l’île danoise, au cœur d’une région sauvage, extrêmement venteuse et inhospitalière. Un territoire de rêve pour développer un gigantesque parc éolien permettant d’alimenter une partie de l’Europe, dont la Belgique, en énergie renouvelable ? L’étude qui va démarrer le dira.
Péripéties et tests à blanc
Après avoir souffert d’erreurs de commandes, après avoir loupé le bateau porte-conteneurs en Finlande, les caisses contenant les kits de stations météo (plus de 100 kilos par unité) ont finalement pris la mer le 19 août et sont arrivées le 2 septembre à Narsaq, port du sud-est du Groenland. Elles ont été interceptées par l’équipe scientifique arrivée sur place en voilier, et placées à bord de la petite embarcation.
Avant de se rendre, avec le voilier, dans les trois no man’s land identifiés pour ériger les stations météo, l’équipe s’est entraînée à les monter « à blanc ». C’est-à-dire « pour du beurre », sans les arrimer, mais en vérifiant tout de même l’état de fonctionnement des foreuses dans de la roche.
« C’est essentiel, car au-delà de Narsaq, il n’y a rien, ni connexion internet ni réseau GSM. Les membres d’équipage ont bien une connexion satellitaire, mais à 1200 euros pour un giga, on ne fait pas de conférence zoom pour savoir comment monter la station… », commente Pr Damien Ernst, spécialiste en systèmes, notamment électriques, à l’ULiège. Il codirige le projet Katabata avec le climatologue Pr Xavier Fettweis, directeur adjoint de l’unité de recherche SPHERES.
Du vent à écorner les bœufs
Le modèle numérique MAR développé par ce dernier a révélé l’énorme potentiel de vents dans le sud-est du Groenland. Les trois stations météo, en mesurant toutes les 20 minutes le vent moyen, la direction du vent, la température et l’humidité, devraient en apporter la démonstration sur le terrain. La période de collecte d’informations s’étendra vraisemblablement sur une année complète.
Les stations météo devraient être installées en 3 endroits différents. Le premier est situé au sud du port de Narsaq, et donnera une idée du vent dont pourraient bénéficier des éoliennes « offshore » (au large). Le deuxième est à l’est de Narsaq. La station météo en ce point indiquera la quantité de vent en « onshore » (sur le rivage), pas trop loin de la mer.
Enfin, le 3e endroit, au cœur d’une vallée très encaissée, est le plus difficile d’accès, mais également le plus intéressant. Selon le modèle MAR, deux vents s’y additionnent : « des vents synoptiques, qui résultent de la présence de la dépression d’Islande et le vent catabatique, un vent local. Celui-ci est produit au-dessus de la calotte glaciaire et en descend la pente par gravité. Comme ces deux vents soufflent dans la même direction, leur vitesse devrait être de l’ordre 80 km/h en moyenne sur l’année ! », explique le climatologue, chercheur qualifié FNRS.
Un Dubaï du vent ?
« Le gisement de vent y est exceptionnel, c’est un des meilleurs endroits de la planète d’après nos modèles de prévision », enchérit le Pr Ernst.
Et d’ajouter, « des éoliennes érigées là-bas pourraient atteindre un facteur de charge de 70 %. » Que faut-il entendre par là ? Une éolienne est toujours définie par une certaine puissance, par exemple 10 Mégawatts. Mais, sur le terrain, elle ne va produire qu’un certain pourcentage de cette puissance théorique. C’est le facteur de charge. Pour les éoliennes terrestres en Europe, il est de 25 %. Par contre, le facteur de charge des champs offshore de la mer du Nord grimpe jusqu’à 43 %.
« En plus du grand facteur de charge, et de vents soufflant plus fort, le régime de vents y est parfaitement décorrélé du régime de vent européen. En effet, en analysant les vents soufflant en Europe et au Groenland depuis les années 80, on observe qu’il n’y a jamais eu de fenêtre critique avec une absence de vent en même temps dans les deux endroits. Autre avantage, le sud-est du Groenland est désert. Il y a énormément de place pour construire un immense parc avec, pourquoi pas, 100.000 grandes éoliennes », poursuit Pr Ernst.
« Par m² de parc éolien, on pourrait avoir de 2 à 4 fois plus d’énergie qu’en mer du Nord ! Dans la lignée de nos travaux sur le « global grid », c’est-à-dire le réseau électrique international, l’énergie éolienne groenlandaise pourrait être rapatriée en Europe sous forme d’électricité via de longs câbles passant sous l’océan. Les pertes liées au transport n’excéderaient pas 16 % (12 % pour 4000 km de câbles électriques et 2 % de pertes dans chacun des deux convertisseurs courant continu-courant alternatif). On pourrait également transformer l’énergie éolienne sur place en molécules riches en énergie, telles que le méthane », explique le Pr Ernst.
« Le peuple groenlandais est à la recherche d’opportunités économiques. Une sorte de Dubaï du vent pourrait s’y créer », conclut-il.