Ian Carnelli, directeur de la mission Hera à l’ESA © Christian Du Brulle

La sonde Hera va mener l’enquête à des millions de kilomètres de la Terre

8 octobre 2024
par Christian Du Brulle (envoyé spécial à Cap Canaveral)
Temps de lecture : 6 minutes

Comme le dit Patrick Michel, le scientifique en chef de la mission spatiale Hera, la sonde scientifique et technologique européenne qui a été lancée lundi de Cap Canaveral est chargée d’« une enquête digne de la police scientifique ». Il s’agit de découvrir dans le détail comment la mission américaine Dart a impacté, il y a deux ans, le système d’astéroïdes binaires Didymos et sa petite lune Dimorphos. En 2022, Dart, 580 kilos lancés à 24.000 km/h, a, en effet, percuté Dimorphos. Ce qui a eu pour effet de dévier l’astéroïde de sa trajectoire.

« Avec Hera, nous assurons la suite de cette expérience: étudier directement l’effet d’un impact sur un corps céleste », précise Ian Carnelli, chef de la mission Hera à l’Agence Spatiale Européenne (ESA).

Ecoutez Patrick Michel, scientifique en chef de la mission Hera, parler des objectifs scientifiques de la mission :

 

Première mission de défense planétaire

« Hera est la première mission du programme « Space Safety » de l’ESA. Ce programme s’intéresse à la météorologie spatiale, aux débris orbitaux et aux astéroïdes. C’est dans cette dernière thématique que s’inscrit le projet Hera. Un projet qui a été monté en à peine quatre années. Un record en ce qui concerne le spatial », précise Ian Carnelli.

La sonde Hera, d’une masse tonne, dispose de 12 instruments scientifiques. Elle est aussi dotée de deux cubesats, des petits satellites de la taille d’une boîte à chaussures, qui seront relâchés une fois l’engin arrivé en orbite autour du système Didymos.

Juventas et le gravimètre belge

L’un d’entre eux, Juventas, est équipé d’un radar qui va sonder l’intérieur de l’astéroïde Dimorphos. Après quelques semaines de travail, Juventas devrait même tenter de se poser à la surface de ce petit astéroïde de 140 m de diamètre. Un exploit, quand on connaît la faible gravité affichée par ce petit corps spatial. « Le gravimètre miniature embarqué sur Juventas, et que nous avons élaboré à l’Observatoire royal de Belgique (ORB) pour cette mission va, en effet, devoir y mesurer une gravité un million de fois plus faible que ce que nous connaissons sur Terre », précise le Dr Ozgür Karatekin de l’ORB.

Ceci afin de mieux caractériser l’astéroïde qui a été frappé par Dart. Car, pour que cette technique puisse être maîtrisée et reproductible, afin de dévier un jour des astéroïdes menaçant la Terre, il faut comprendre ce qu’a provoqué exactement cet impact. De quelle taille est le cratère généré par Dart, quelle est la structure, la composition de l’astéroïde et comment l’impact a-t-il modifié sa structure.

Hera, la sonde scientifique et technologique européenne a été lancée de Cap Canaveral © Stephane Corvaja / ESA

Des technologies belges primordiales sont du voyage

Pour mener l’enquête à bien, la mission Hera peut compter sur une série de technologies et d’instruments belges. Outre le gravimètre développé avec l’aide de l’Observatoire royal de Belgique, notons que deux composantes essentielles de cette mission ont également une signature belge. Il s’agit de l’ordinateur de bord de Hera. Il a été construit par la firme Redwire Space, de Kruibeke, près d’Anvers. L’autre élément clé de la sonde, c’est son logiciel de bord. Celui-ci a été élaboré par les ingénieurs de Spacebel (Liège).

« Nous avons également développé les multiples systèmes de simulation liés à cette mission ainsi que les logiciels du segment sol », précise Thierry du Pré-Werson, Administrateur délégué de Spacebel. Ce segment sol est le centre de contrôle des deux cubesats, établi à Redu (province de Luxembourg). Thales Alenia Space Belgium (Charleroi) a développé l’unité de distribution et de contrôle de l’énergie ainsi que des composants pour le sous-système de communication de la sonde, dont le maître d’œuvre principal est la société allemande OHB.

Enfin, outre le développement du gravimètre Grass (Gravimètre for Small Solar system objects), de Juventas, l’Observatoire royal de Belgique a également, avec le VITO, contribué au traitement des données et à l’étalonnage de l’imageur infrarouge thermique fourni par la JAXA, l’Agence spatiale japonaise. Des recherches menées à l’UCLouvain ont également permis de préparer au mieux la mission. Notamment grâce aux calculs des trajectoires de Hera vers l’astéroïde et de sa mise en orbite autour de Dimorphos.

Quels risques représentent vraiment les astéroïdes?

Mieux connaître les astéroïdes et surveiller les trajectoires de ceux qui croisent l’orbite de la Terre est un autre élément du programme de défense planétaire de l’ESA.

« Il existe un nombre assez constant de ce genre d’astéroïdes, précise le scientifique en chef de la mission », Patrick Michel. « Nous surveillons les plus gros. On estime qu’un objet d’un kilomètre de diamètre tombe en moyenne tous les 500.000 ans sur Terre et cause une catastrophe à l’échelle de la planète ». Pour mémoire, celui qui a éradiqué les dinosaures de la Terre voici 66 millions d’années devait faire une dizaine de kilomètres de circonférence. « En ce qui concerne les astéroïdes de plus d’un kilomètre de diamètre, aucun ne devrait nous menacer dans un avenir de l’ordre du siècle », rassure-t-il.

« Statistiquement, on estime aussi qu’un objet de 140 mètres de diamètre tombe en moyenne tous les 20.000 ans sur notre planète, générant une catastrophe régionale », précise le scientifique en chef de cette mission. Ce qui montre l’importance de faire l’inventaire de tous ces objets. Et de mettre au point des méthodes pour, le cas échéant, les dévier. Bref, l’idée est de se préparer à contrer ce risque naturel. »

Hera devrait arriver à destination en décembre 2026. Une fois sur place, à quelque 200 millions de kilomètres de la Terre, l’étude du système binaire d’astéroïdes va alors démarrer. Il devrait durer six mois.

Ramses pointe le bout du nez

Et ensuite? « L’avenir prendra la forme de la mission européenne Ramses », indique Ian Carnelli, le directeur de la mission Hera à l’Esa. « Cette fois, cela passera beaucoup plus près de nous. En 2029, l’astéroïde Apophis devrait frôler la Terre à moins de 20.000 kilomètres de distance. Ramses ira à sa rencontre pour étudier les déformations de sa structure engendrées par les effets de marée de notre planète et de la Lune ». Les études préliminaires de cette mission sont déjà en cours.

« Hera a coûté moins cher que prévu : 363 millions d’euros », indique encore Ian Carnelli. « Les fonds non utilisés ont été consacrés à l’élaboration d’une mission basée sur un modèle de sonde Hera simplifiée: celui de la mission Ramses. L’idée est de l’envoyer dans l’espace en avril 2028 afin qu’elle passe en 2029 près de l’astéroïde Apophis. Un corps céleste de 300 mètres de diamètre qui va se glisser entre nos satellites géostationnaires et notre planète ». Clairement, la défense planétaire s’affine en Europe!

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