Quand colonisation rime avec importante érosion

8 décembre 2020
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 4 min

L’érosion des sols, en particulier des terres arables, est une problématique planétaire. En Amérique du Nord, depuis la colonisation européenne, les humains ont déplacé autant de sédiments que les processus naturels en 3000 ans. C’est ce que dévoile une étude réalisée par Veerle Vanacker, géographe à l’UCLouvain, et ses collègues, David Kemp et Peter Sadler, des universités de Wuhan et de Californie.

10 fois plus d’alluvions accumulées

Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont analysé et compilé des études de cas, précédemment réalisées, concernant plus 4000 zones alluviales en Amérique du Nord. Ces travaux découlent principalement de forages. Ils mentionnent la profondeur de sédimentation et la période durant laquelle celle-ci a eu lieu. Grâce à ces données, les chercheurs ont évalué les taux de sédimentation et leur évolution au cours du temps.

Les taux d’accumulation d’alluvions – cailloux, boues, sables – par les rivières du continent américain ont été globalement stables pendant environ 40.000 ans. Toutefois, entre 1720 et 1920, ils ont été multipliés par 10. « Cette période correspond à la première vague d’arrivées de colons européens sur le sol américain », précise la professeure Vanacker. Les colons européens ont rapidement étendu les surfaces dédiées à l’agriculture intensive et ont profondément modifié les systèmes fluviaux.

Une érosion sans précédent

En effet, pour installer fermes et cultures, les colons ont défriché de grandes surfaces. Or, cette pratique ainsi que celle du labour augmentent le ruissellement et les taux d’érosion des sols. Et par là, les quantités de sédiments transportées vers les cours d’eau. La déforestation accroît aussi le risque de glissements de terrain et de coulées de boues. Et entraîne une baisse de la fertilité naturelle des sols.

Au début de la colonisation, les Européens ont également modifié le cours des rivières. Notamment, par la construction de digues et barrages de moulins. « Ils ont aussi modifié la morphologie des chenaux et le régime d’écoulement des eaux, avec des impacts importants dans les plaines inondables et au niveau du stockage des sédiments », ajoutent les chercheurs.

« Dans un contexte géologique, de tels changements semblent sans précédent. Les pertes de sol résultant des activités humaines dépasseraient les taux de dénudation continentale des 40.000 dernières années de l’histoire de la Terre. »

Les programmes de conservation portent leurs fruits

Après l’épisode de très forte accélération de l’érosion entre 1720 et 1920, le phénomène est demeuré important durant des décennies. Ainsi, les années 1930 sont aussi appelées les Dirty Thirties. Dans une région englobant l’Oklahoma, le Kansas et le Texas, de redoutables tempêtes de poussières, dues à l’érosion des sols, ont engendré des catastrophes environnementales et agricoles. Viennent ensuite les années 1970, à partir desquelles les chercheurs observent un ralentissement du taux de sédimentation.

« Nous pensons que cela est dû aux grands programmes agro-environnementaux de conservation de l’eau et du sol qui ont été mis en place aux Etats-Unis à partir des années 1960. Par exemple, des mesures ont été prises afin de réduire le ruissellement (en collectant l’eau de pluie, NDLR) et de dissiper son énergie, mais aussi afin de réduire le labour dans les champs. Elles ont eu un impact très important. D’autres mesures visent l’amélioration de la structure et de la couverture des sols pour diminuer leur susceptibilité à l’érosion », explique la chercheuse du « Earth and Life Institute » de l’UCLouvain.

Et en Europe…

En Europe occidentale, si la déforestation a cours depuis le Néolithique, elle a atteint son paroxysme durant le Moyen Age. « D’autres collègues ont réalisé une étude similaire à la nôtre en Europe. Ils ont également observé une accélération des taux de sédimentation dans les plaines alluviales européennes lors de la grande vague de la déforestation », poursuit-elle.

Depuis lors, surtout au XIXe siècle, de grands programmes de reforestation ont été mis en place en Europe. « Par exemple, en France, via le programme de restauration des terrains en montagne avec reboisement, mais aussi via les mesures de réduction de torrents, et donc de conservation d’eau et de sols dans les zones dégradées. Cela a eu des conséquences très importantes, avec une réduction des taux d’érosion et de la quantité de sédiments transportée dans les rivières », conclut Veerle Vanacker.

 

 

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