« Quand on fait de la recherche moléculaire sur des animaux, il faut aussi observer leur comportement global. »
Lorsqu’il commente les derniers résultats scientifiques obtenus dans son laboratoire d’Immunologie-Vaccinologie, à l’Université de Liège (ULg), le professeur Alain Vanderplasschen rappelle volontiers quelques bases de la démarche scientifique.
Des bases qui doivent faire frémir de bonheur Charles Darwin et qui sont aujourd’hui à l’origine d’une très belle découverte. « Peut-être même une de mes plus belles découvertes », indique le scientifique, fervent observateur de la Nature.
Effet collatéral d’une recherche sur un vaccin
En étudiant les effets d’un herpèsvirus qui décime les élevages de carpes, le vétérinaire liégeois a découvert comment enrayer la maladie. Certes, il travaille aussi sur un vaccin pour contrer ce pathogène. Une recherche qui lui a déjà valu une belle reconnaissance.
Cette fois, c’est en observant les carpes qui évoluent dans les bassins de son laboratoire qu’il a découvert un de leurs mécanismes naturels de défense contre ce virus. « Elles se mettent au chaud », dit le scientifique. « Ce virus, qui à terme tue 100% des carpes d’élevage quand elles évoluent dans une eau à 24 degrés (la température idéale pour leur reproduction dans les fermes aquacoles), ce virus donc, est sensible à la chaleur. Dès qu’elle passe à 32 degrés, le virus est éradiqué et les carpes « guérissent ».
En d’autres termes, ces carpes, des animaux à sang froid, se créent une sorte de « fièvre » salvatrice en se rapprochant des zones chaudes de l’aquarium. « Typiquement, les carpes malades se réunissaient autour de la carotte chauffante de nos bassins, là où la température est la plus élevée. En quelques jours, alors qu’elles étaient à l’article de la mort, cela leur permettait de reprendre vie. Elles se soignaient d’elles-mêmes », précise le Pr Vanderplasschen.
Les poissons sains restent dans les eaux froides
Pour vérifier l’hypothèse que les carpes infectées par le CyHV-3 (cyprinid herpesvirus 3) pouvaient exprimer cette « fièvre comportementale », le laboratoire de l’ULg a construit des aquariums pourvus de plusieurs compartiments au sein desquels un gradient de température était établi.
A l’aide de ce système, les chercheurs ont observé que les carpes non infectées choisissaient de résider à la température de 24°C, alors que les carpes infectées se déplaçaient volontairement vers la température la plus élevée de 32°C, ce qui a eu pour conséquence une guérison très rapide des poissons. A l’opposé, des poissons infectés maintenus à 24°C succombaient tous à la maladie.
Un mécanisme moléculaire identique à celui de la fièvre humaine
Plus étonnant encore, les chercheurs ont identifié un mécanisme par lequel le virus retarde l’expression de cette fièvre comportementale et ont découvert que celle-ci est induite par la même molécule que celle qui déclenche la fièvre chez l’homme!
Ces résultats démontrent que la « fièvre comportementale » des animaux à sang froid et la fièvre des animaux à sang chaud (dont l’être humain) reposent sur des molécules communes provenant de notre dernier ancêtre commun, lequel vivait il y a 400 à 450 millions d’années.
« On a trop simplifié les conditions d’élevage »
Au-delà de l’avancée scientifique fondamentale, cette découverte pourrait bien révolutionner tout le secteur de l’aquaculture.
« On a trop souvent simplifié les conditions d’élevage en pensant qu’un bassin à 24 degrés était l’idéal pour la production de carpes », dit encore le Pr Alain Vanderplasschen, qui conclut: « dans un lac, on observe souvent des gradients de température importants… »