Il est urgent que l’Europe se réveille

9 avril 2019
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
«L’Europe, du mythe à la réalité» par Henri Deleersnijder. Editions Mardaga – VP 19,90 euros

L’Union européenne risque de se lézarder, de s’effondrer. Le professeur d’histoire Henri Deleersnijder revisite ses origines dans «L’Europe, du mythe à la réalité» chez Mardaga. Impliqué dans des recherches sur le populisme et la démocratie, le collaborateur au département des Relations extérieures de l’Université de Liège (ULiège) propose des pistes pour que l’Europe fasse à nouveau rêver.

Être acteur du projet européen

Le chercheur pointe le déficit démocratique chronique de l’Union européenne (UE). «Jusqu’ici, les décisions sont prises dans les espaces feutrés des bâtiments officiels de Bruxelles, où se font des échanges répondant à des codes diplomatiquement convenus. Avec des lobbyistes à l’affût de surcroît».

«Souvenons-nous. Consultés par voie référendaire, une majorité de citoyens français et néerlandais avaient rejeté le Traité constitutionnel en 2005. Qu’à cela ne tienne, il sera remplacé par celui de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007! Lequel entrera en vigueur 2 ans plus tard après avoir été ratifié, il est vrai, par tous les États membres, dont finalement l’Irlande qui lui avait d’abord dit non par un référendum de juin 2008, puis oui par un second 16 mois après. Tout cela fait un peu désordre et ne manque pas de laisser perplexe le citoyen européen». Résultat: un taux d’abstention record au dernier scrutin de 2014.

L’historien se réfère à Jean-Marc Ferry, professeur honoraire en science politique et philosophie morale à l’Université libre de Bruxelles (ULB). En 2016, le titulaire de la chaire «Philosophie de l’Europe» à l’Université de Nantes (France) disait dans son analyse des effets du Brexit sur l’avenir du projet européen: «Les citoyens européens ne sont pas des enfants. Ils veulent être pris au sérieux et se sentir parties prenantes du projet européen. Faute de quoi le projet lui-même s’expose à une récusation massive.»

Éveiller l’intérêt des citoyens

Le docteur honoris causa de l’Université Saint-Louis-Bruxelles, propose aussi des confrontations ouvertes pour fournir une présence démocratique. Des conférences de presse conjointes entre responsables européens. Des initiatives publiques qui échappent au secret entourant les prises de décision.

«Cela éveillerait l’intérêt des citoyens pour des enjeux les concernant au premier chef», juge Henri Deleersnijder. «La sauvegarde du projet européen est à ce prix. Elle serait grandement consolidée aussi par une pédagogie montrant combien les nationalités composant la mosaïque européenne sont interdépendantes. Historiquement fécondées par des échanges qui ont été en définitive toujours plus nombreux que les confrontations.»

Penser supranationalité

En 1992, le Traité de Maastricht avait accru les pouvoirs des députés européens élus au suffrage universel. «Les 28 commissaires, eux, pas plus que le président du Conseil, ne sont choisis par les citoyens de l’Union», constate l’historien. «Pire, ou mieux selon un autre point de vue, les États jouissent chacun d’un droit de veto qui leur permet de s’opposer à une décision de la Commission risquant d’aller à l’encontre de leurs intérêts particuliers. Cela montre, si besoin en était, que la supranationalité n’est pas encore la règle d’or dans la pratique institutionnelle de l’Union.»

Le nationalisme menace la conscience européenne. «On l’avait cru terrassé après son déchaînement dans les années 1930 et son expression la plus meurtrière que fut le nazisme. Mais le voilà qui resurgit dans une région du monde qui avait vu naître sur son sol et sous son action pas moins de 2 guerres mondiales. On ne compte plus aujourd’hui les pays européens, et pas seulement à l’Est, qui succombent à nouveau à ses sirènes.»

Activer le volet social

«Dans les anciennes générations, celles qui avaient connu la guerre et dont faisaient partie les pères fondateurs de l’Union, la conscience que l’histoire peut sombrer dans l’épouvante était restée vive», rappelle l’historien. «Est-ce encore le cas aujourd’hui chez les jeunes politiques, dont pas mal d’entre eux n’auraient qu’un œil braqué sur la communication et l’autre sur l’économie?»

Que faire pour éviter l’enlisement du projet européen? Selon Henri Deleersnijder, il faudrait permettre réellement aux citoyens de refaire de la politique. Redonner de l’espoir aux populations. Activer le volet social d’un édifice qui en manque cruellement. En particulier par une harmonisation des fiscalités, fruit d’un arsenal législatif garantissant l’égalité des droits sociaux partout dans l’Union. Se ressourcer auprès des écrivains, poètes, philosophes, artistes, scientifiques qui ont modelé l’identité plurielle de quelque 512 millions d’Européens.

 

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