Capture d'écran du site lessurligneurs.be réalisée par Camille Stassart

Des universitaires luttent contre la désinformation en pratiquant du « fact-checking » juridique

9 août 2022
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

Epingler les propos juridiquement faux, problématiques, à nuancer, ou encore incomplets, tenus par les personnalités publiques dans les médias belges. Tel est l’objectif du projet « Les Surligneurs » mené par l’Université de Saint-Louis-Bruxelles (USL-B), qui a vu le jour il y a quelques mois. Dans le milieu, on parle de « legal checking ». L’objectif ? Rendre plus accessible le droit auprès du grand public, tout en remettant le droit au cœur du débat public.

Le petit frère d’un projet français

Ce projet est la suite de l’initiative française du même nom, lancée il y a 5 ans par un collectif non-partisan d’enseignants-chercheurs en droit. Ces derniers ont décidé de fonder un site web pour diffuser des « surlignages », c’est-à-dire des articles vérifiant la conformité au droit des paroles proférées par les politiques. En parallèle, les auteurs rédigent des « éclairages » visant à mettre en lumière un débat politique sur le plan du droit.

« Le projet français dépasse aujourd’hui largement l’ancrage universitaire et le site web est reconnu comme un média à part entière. Pour l’heure, ils ont déjà mis en ligne plus de 900 publications de « legal checking » », précise Marie-Sophie de Clippele, chargée de recherche FNRS à l’USL-B et à l’UCLouvain, professeure invitée à l’USL-B, et l’une des responsables du projet belge.

« L’équipe française nous a proposé de les rejoindre en vue d’exporter le projet ailleurs en Europe. Nos articles de « legal checking » sont donc diffusés sur la même plateforme, dans une section dédiée à la Belgique, laquelle compte aujourd’hui une quarantaine de publications. Nous sommes leurs premiers partenaires internationaux, mais l’intention est de s’ouvrir à d’autres pays prochainement. »

Une dizaine d’étudiants au chevet du droit

Le projet belge prend pour le moment la forme d’une « clinique juridique », un cours pratique ouvert depuis septembre 2021 à tous les étudiants en droit de l’Université Saint-Louis-Bruxelles.

« Deux collègues et moi-même encadrons, cette année, une dizaine d’étudiants. Ensemble, nous réalisons une veille médiatique des grands médias belges. On dispose d’un groupe WhatsApp, où on échange les articles de presse et des extraits d’émissions de radio ou de TV que l’on a pu relever. On décide ensuite quels sujets d’actualité pourraient faire l’objet d’un éclairage et quelles déclarations pourraient être épinglées dans un surlignage », développe la chercheuse.

Durant l’atelier hebdomadaire, les chercheurs et étudiants rédigent les articles à diffuser sur le site et leurs réseaux sociaux.
« Le défi est de ne pas surinterpréter la parole politique, en cherchant la petite bête. Il est aussi nécessaire d’éviter le jargon juridique, être clair pour le grand public, sans pour autant être approximatif. Il est également essentiel de rester impartial, en évitant de revenir à chaque fois sur les propos des mêmes hommes et femmes politiques. »

L’État de droit, un concept en danger ?

L’intérêt de la démarche est de « remettre le droit au cœur du débat public, à une époque où l’État de droit est dangereusement malmené », déclarent les initiateurs du projet. Pour rappel, l’Etat de droit désigne un État dans lequel la puissance publique est soumise aux règles de droit. L’Etat ne peut agir que si la Constitution ou la loi l’y autorise. Ce qui suppose la séparation des pouvoirs entre des organes indépendants et spécialisés (judiciaire, législatif et exécutif).

Or, dans le dernier rapport de la Commission européenne sur l’Etat du droit, les auteurs indiquent notamment que les systèmes judiciaires de plusieurs pays européens, dont ceux de la Belgique, présentent toujours d’importants problèmes d’efficacité, faute d’investissements en ressources humaines et financières et dans la numérisation du système.

Concernant la qualité, la transparence et le caractère inclusif du processus d’élaboration des lois, ce rapport souligne également que « le Conseil d’État [belge] éprouve des difficultés à formuler des avis sur des projets de loi, faute de ressources suffisantes et en raison de délais de consultation fréquemment raccourcis.»

Prochain objectif : élargir le projet à d’autres acteurs

Néanmoins, pour Marie-Sophie de Clippele, la Belgique n’est pas un pays où l’Etat de droit est fondamentalement mis à mal. « Il y a évidemment des choses à améliorer, mais nous ne faisons pas non plus partie des plus mauvais élèves. Il existe des états où le problème est bien plus aigu, comme en Hongrie ou en Pologne. »

Reste que cette initiative de « legal cheking » garde toute son utilité. D’autant plus dans le contexte de crise économique, géopolitique, et climatique que nous sommes en train de traverser.

Après cette première année, il a été décidé de poursuivre le projet et les coordinateurs espèrent que des chercheurs d’autres institutions, voire des avocats, rejoindront à l’avenir leur équipe. « L’ambition est de développer des collaborations avec certains médias belges », ajoute la Dre de Clippele.

A noter que le projet se veut également participatif, invitant les citoyens à faire part des aberrations juridiques qu’ils auraient vues ou entendues à l’adresse contact@lessurligneurs.eu.

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