La peinture “La Sainte Famille » de Jacob Jordaens a été analysée dans le cadre du projet MetOx © KIK-IRPA

Mieux comprendre l’altération des peintures flamandes du 15 au 17e siècle

10 février 2023
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

Des voiles grisâtres voire des croûtes brunâtres altèrent la beauté de grand nombre de peintures, sur toile et panneaux de bois, peintes à l’huile entre le 15e et le 17e siècle. Les coupables ? Les oxalates métalliques. Dans le cadre du projet MetOx, une dizaine de chercheurs au profil varié (chimiste, physicien, ingénieur, historien de l’art, restaurateur d’art) ont travaillé de concert pour percer des pans du mystère entourant la formation de ces molécules chimiques au comportement complexe.

De grandes œuvres sous la loupe

Pour ce faire, pas moins de 48 peintures réalisées entre le 15e et le 17e siècle par de grands peintres belges, comme Jan van Eyck, Antoine van Dyck et Pierre Paul Rubens, appartenant aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Bruxelles) et à la National Gallery de Londres, ont été analysées. Et ce, à l’aide de 10 méthodes analytiques, permettant des approches allant de l’échelle macro, pour les études de surface, à l’échelle nano, et donc moléculaire.

Résultats? Parmi ces œuvres majeures de notre patrimoine, pratiquement toutes contenaient des oxalates métalliques, des produits de vieillissement naturel de la peinture, à l’intérieur de leurs couches picturales. « Dans certains cas extrêmes, ces oxalates migrent vers la surface de la peinture et y forment des dépôts altérant l’œuvre», explique Dr Francisco Mederos-Henry, chimiste et restaurateur de peintures au laboratoire des polychromies de l’IRPA (Institut Royal du Patrimoine Artistique).

Cet institut de recherche fédéral a coordonné le projet MetOx, financé à hauteur de 570.000 euros par le programme BRAIN de BELSPO. Cette recherche a été menée avec des partenaires nationaux et internationaux : l’UAntwerp, l’UCLouvain, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, la National Gallery de Londres et le synchrotron européen de Grenoble (ESRF-EBS).

Des pigments particuliers

La recherche a également permis d’identifier les pigments favorisant la formation d’oxalates métalliques. Du moins ceux présents dans des peintures datées entre le 15e et le 17e siècle, créées dans les Pays-Bas méridionaux, ce qui correspond aujourd’hui au territoire de la Belgique. Il ne s’agit donc pas d’un recensement exhaustif.

« Les pigments que l’on a pu identifier comme favorisant la formation d’oxalates appartiennent donc à la gamme de pigments disponibles historiquement à ce moment-là. Citons, notamment le vert-de-gris (pigment allant du vert émeraude jusqu’au bleu vert), l’outremer (bleu intense), mais aussi les laques de garance (rouge foncé) ou de cochenille (carmin), ainsi que d’autres matériaux entrant dans la préparation de la peinture comme le carbonate de calcium, aussi appelé blanc d’Espagne », précise Dr Mederos-Henry.

Un long processus vers un état stable et problématique

Dans la couche picturale, l’huile est le liant. Avec le temps, elle se dégrade. « En s’oxydant sous l’effet de la lumière et de l’humidité, l’huile se casse en molécules de plus petite taille, lesquelles finissent par former des anions oxalates (ions chargés négativement). Ceux-ci se lient alors spontanément avec des cations (ions chargés positivement) issus d’un pigment ou d’un additif. En fonction de la nature de celui-ci, on a affaire à des oxalates de calcium, de cuivre, de zinc, etc. »

Dans le milieu chimique complexe que sont les peintures, les oxalates métalliques évoluent en leur cœur au fil du temps. Autrement dit, leur composition chimique se modifie au gré des ans. Puis, en migrant vers la surface, ils se transforment invariablement en un oxalate de calcium, soit la molécule la plus stable. « Or, c’est l’oxalate de calcium en particulier qui défigure les peintures via la formation de voiles grisâtres ou brunâtres, et donc pose problème. Une fois qu’il se forme, il précipite et forme un complexe hyper stable », poursuit le chimiste.

Thermodynamique et humidité

« Si systématiquement après 200, 300 ou 400 ans, on retrouve de l’oxalate de calcium à la surface d’une peinture flamande, cela veut dire qu’il existe une thermodynamique poussant le système vers cet état particulier. Selon notre hypothèse, que nous souhaitons approfondir dans un prochain projet de recherche, au départ, il y aurait formation d’oxalates de potassium (K+) ou de sodium (Na+). Mais comme ces ions sont monovalents, ils sont moins stables, particulièrement vu le type de coordination biligand de l’anion oxalate (C₂O₄²⁻ ). Ils sont alors remplacés par des cations divalents, notamment du cuivre (Cu2+), puis par le calcium (Ca2+), lequel constitue l’étape finale », continue-t-il.

Pourquoi ces complexes oxalates se défont-ils à un moment donné pour capter un autre cation ? « Deux facteurs entreraient en jeu : une stabilité thermodynamique (c’est-à-dire que le complexe oxalate est alors à son niveau d’énergie le plus bas, NDLR) et une variation du taux d’humidité. Cela reste encore à prouver, toutefois, au cours du projet MetOx, lors d’une expérience de laboratoire, nous avons pu montrer qu’en l’absence d’humidité, il n’y avait pas de formation rapide d’oxalates. Au contraire, des taux d’humidité très élevés la favorisent. »

Ni trop ni trop peu

Faudrait-il dès lors conseiller aux musées de descendre le taux d’humidité le plus bas possible dans les pièces contenant des peintures flamandes du 15 au 17e siècle ? Pas si vite ! Un taux d’humidité trop bas entraînerait des tensions dans les supports bois et textiles. « Si le dessèchement est trop important, les supports vont se tendre et craquer. Ce qu’il faut éviter à tout prix pour conserver les peintures, ce sont des fluctuations trop importantes du taux d’humidité», ajoute le spécialiste.

En parallèle, de plus en plus de restaurations de peinture sont réalisées à base d’eau. « L’eau, ce n’est peut-être pas la meilleure chose à appliquer sur une peinture à l’huile. Mais tant que nous n’avons pas davantage de résultats de recherches, nous ne conseillons pas aux restaurateurs de changer de méthode », conclut Dr Francisco Mederos-Henry.

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