On connait l’attrait des Belges pour la propriété immobilière, la fameuse « brique dans le ventre ». Le Dr Bram Vanhoutte, un chercheur belge actuellement en Angleterre (Université de Manchester), vient de montrer que chez nos voisins britanniques aussi, le bonheur passait par un tel accès à la propriété. Du moins, pour les plus de 50 ans.
Et c’est bien d’une mesure du bonheur dont il s’agit ici. Le sociologue s’est en effet intéressé aux liens à long terme pouvant exister entre l’habitat et le bien-être tout au long de l’existence.
Mobilité ou sédentarité
« Les déménagements fréquents peuvent avoir un impact sur le bien-être. Mais cela dépend de la phase de vie au cours de laquelle ils interviennent », explique le Dr Vanhoutte.
« Déménager souvent au cours de l’enfance n’a pas d’effet à long terme », écrit-il. « Cela s’avère positif au début de l’âge adulte, mais se révèle moins favorable sur le sentiment de bien-être passé 50 ans ».
Sa recherche montre, par exemple, que déménager fréquemment comme jeune adulte est associé à un plus grand bien-être quelques décennies plus tard. Par contre, une telle instabilité à un âge plus avancé peut prédire une moins grande satisfaction de vie.
Selon son analyse, « la première situation reflète le résultat favorable de transitions importantes réussies, telles que suivre des études universitaires, se mettre en couple et avoir des enfants. Alors que l’autre situation, survenant plus tard dans le parcours de vie, peut être induite par des difficultés comme le divorce, la perte d’un conjoint, le chômage ou l’invalidité ».
Des concepts à l’observation
Pour arriver à ces conclusions, le sociologue est parti de concepts de cumul des avantages et des désavantages, de période critique et de mobilité sociale.
Bram Vanhoutte a traduit empiriquement ces trois mécanismes en observations mesurables de durée, de temporalité et d’ordre dans lesquels se matérialisent les conditions de logement.
Les variables, collectées à travers des calendriers de vie et concernant 7500 personnes, sont construites selon quatre états possibles : vivre en location, dans sa propre propriété, dans un logement non privé (internat, armée, etc.) ou à l’étranger. En combinant ces quatre états possibles, dix types de trajectoires résidentielles distinctes ont été identifiées.
Bien-être affectif, cognitif et « eudémonique »
Bram Vanhoutte compare alors les types de trajectoires suivies au cours de la vie avec le niveau de bien-être des répondants, âgés de 50 ans et plus. Ici le bien-être est considéré de trois points de vue : affectif, cognitif et « eudémonique » (c’est-à-dire ayant trait au plaisir de vivre).
Concernant la durée, ses résultats montrent que plus une personne passe d’années dans une location, moins ses niveaux de bien-être affectif et eudémonique seront élevés en deuxième partie de vie.
Être propriétaire pendant plusieurs années est associé à moins de symptômes de dépression (ce qui signifie un bon niveau de bien-être émotionnel) ainsi qu’à un meilleur bien-être eudémonique, mais pas à une plus grande satisfaction de vie (qui s’apparente au bien-être cognitif). La possession de son foyer est ainsi un indicateur clair de sécurité économique et de stabilité familiale dont les bienfaits s’accumulent au cours des années. Dans ce sens, la durée exprime bien cet important concept qu’est le cumul des (dés) avantages.
Mobilité sociale
La temporalité fait référence aux périodes critiques ou sensibles, suggérant que certains schémas d’habitat pourraient être plus à risque ou plus bénéfiques selon les étapes de la vie.
Bram Vanhoutte démontre que le meilleur moment pour être mobile est le début de la vie adulte, alors que le même comportement est plutôt un mauvais signe plus tard dans le parcours. Cependant, et contrairement à son hypothèse de départ, le chercheur ne trouve aucune association négative entre déménagements fréquents dans l’enfance et bien-être à long terme, même chez les individus les plus défavorisés. La perte de liens sociaux qui aurait pu résulter de ces déplacements répétés pourrait avoir été compensée par l’expansion et l’amélioration des logements sociaux dans les années 60, permettant à la cohorte examinée d’accéder à de meilleures conditions de vie, estime-t-il.
Enfin, l’ordre des séquences d’habitation met effectivement en lumière la question de la mobilité sociale. La résidence apparaissant comme « un indicateur alternatif de position sur l’échelle sociale », écrit l’auteur.
« Il est clair, selon nos analyses, qu’être locataire après avoir grandi dans une propriété, ce qui est une forme évidente de mobilité sociale descendante, est associé avec les niveaux les plus bas de bien-être dans l’âge mûr, comparé à d’autres trajectoires résidentielles », ajoute-t-il.
Avoir grandi à l’étranger est lié à une forme de trajectoire favorable – marquée par de courts passages en internat et en location suivis d’une accession rapide à la propriété – qui s’accompagne de très hauts niveaux de bien-être en fin de vie.
Récompense suisse
« L’étude de Bram Vanhoutte doit être replacée dans le contexte du Royaume-Uni où la plupart des gens achètent un bien immobilier au cours de leur vie. Mais elle nous invite aussi à réfléchir à l’importance des notions de durée, de temporalité et d’ordre marquant les trajectoires résidentielles dans d’autres contextes », indique le Pôle de recherche national suisse LIVES, qui vient de récompenser son travail par un prix remis cette semaine dans le cadre de la conférence annuelle de l’association britannique Society for Longitudinal and Lifecourse Studies (SLLS).