Décollage de la première Ariane 6, le 9 juillet 2024, depuis Kourou. © ESA M. Pédoussaut
Décollage de la première Ariane 6, le 9 juillet 2024, depuis Kourou. © ESA M. Pédoussaut

Ariane 6 prend le chemin de l’espace

10 juillet 2024
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

Dans la nuit de mardi à mercredi, le nouveau lanceur européen Ariane 6 a réalisé son tout premier vol. Tiré depuis le port spatial de Kourou, en Guyane française, l’engin, dans sa version à deux boosters, a globalement mené à bien une mission de qualification de près de trois heures. Il a largué quelques petits satellites de types cubesats. Des expériences diverses ont également été réalisées, dont une qui a été élaborée par des élèves de Bruxelles et de Braine-l’Alleud.

« C’est un immense succès pour l’Europe spatiale mais aussi pour la Belgique et ses industriels impliqués dans ce programme », nous confie Thomas Dermine (PS), le secrétaire d’Etat belge en charge de la Politique scientifique fédérale (et donc du spatial belge), qui a assisté à ce vol inaugural au Centre spatial guyanais. « Nous venons de retrouver notre souveraineté d’accès à l’espace », se réjouissait-il.

Ariane 6 succède à Ariane 5, dont la longue série de tirs s’est clôturée l’an dernier. Porté par l’Agence spatiale européenne (ESA), le programme Ariane 6 mobilise les industriels, les ingénieurs et les scientifiques de 13 des 22 états membres de l’ESA, dont la Belgique.

Un lanceur polyvalent

La nouvelle fusée a été conçue pour être polyvalente. Elle se décline en deux versions, avec 2 ou 4 boosters. Elle possède un étage supérieur rallumable permettant le lancement de plusieurs satellites sur diverses orbites. Elle est aussi adaptée aux missions exigeant le transport de charges lourdes vers la Lune et au-delà. Les adaptateurs de charges utiles permettent de lancer de petits satellites en tant que charges auxiliaires pour offrir des occasions de lancement abordables aux petites entreprises désireuses de s’établir sur un secteur spatial en plein essor.

Les deux configurations d'Ariane 6. © ESA
Les deux configurations d’Ariane 6. © ESA

« À ce jour, Arianespace, qui commercialise les lanceurs européens, a déjà engrangé 29 contrats de lancement pour Ariane 6 », a rappelé son patron, Stéphane Israël. Le premier vol commercial n’interviendra cependant pas avant plusieurs mois. Au plus tôt à la fin de cette année. « Il s’agira d’un satellite militaire français », a-t-il précisé. Avant ce premier lancement commercial/institutionnel, il faut d’abord que les ingénieurs de l’ESA, mais aussi des équipes industrielles réunies par ArianeGroup, analysent dans le détail tous les paramètres de vol du lancement inaugural et déclarent Ariane 6 « bonne pour le service ».

Le nouveau lanceur, construit par ArianeGroup et les industriels partenaires, n’est en lui-même pas révolutionnaire dans sa conception. Selon les missions, il disposera donc de deux ou quatre boosters à poudre. La fusée fait alors au décollage, suivant les versions, 540 ou 870 tonnes (à comparer aux 780 tonnes d’Ariane 5).

Lors d’un lancement, la durée de fonctionnement des boosters, qui délivrent l’essentiel de la puissance, n’est que de deux minutes. Le moteur de l’étage principal, appelé Vulcain 2.1, continue lui à fonctionner cinq minutes de plus. Comme sur Ariane 5, Vulcain est un moteur cryotechnique. Son carburant se compose d’oxygène et d’hydrogène liquides, refroidis respectivement à -180 °C et -250 °C.

La grande nouveauté : le moteur rallumable Vinci

La nouveauté sur Ariane 6, c’est son étage supérieur. Baptisé Vinci, son moteur fonctionne désormais aussi aux carburants cryotechniques et surtout, il est rallumable jusqu’à quatre fois. De quoi permettre de placer divers satellites sur diverses orbites lors d’un même vol. Ce qui permet à Arianespace de diminuer sensiblement les prix proposés à ses clients. Un impératif dans l’environnement spatial compétitif actuel. Soulignons aussi que lors de son dernier allumage, le moteur Vinci doit aussi servir à désorbiter le dernier étage de la fusée européenne, ceci afin de ne pas encombrer l’orbite terrestre avec un nouveau débris. Lors de ce premier vol, le second allumage du moteur Vinci a toutefois connu un raté. Ce qui aux yeux des responsables d’ArianeGroup et de l’ESA ne constitue pas un échec. Ils parlent d’une anomalie pendant la phase de démonstration du vol. Pour tous, à Kourou, le vol inaugural est bel et bien un succès.

Sur fond de courbure terrestre, vue de la tuyère rougissante du moteur Vinci d'Ariane 6. Capture d'écran ESA
Sur fond de courbure terrestre, vue de la tuyère rougissante du moteur Vinci d’Ariane 6. Capture d’écran ESA

Les lanceurs de la famille Ariane sont intimement liés à la Belgique et à son savoir-faire industriel dans ce domaine. Parmi les principales entreprises belges présentes sur Ariane 6, on retrouve la Sabca. Cette entreprise fournit les servocommandes des tuyères du lanceur, autant pour les boosters que pour les moteurs de l’étage principal et de l’étage supérieur. Ces servocommandes permettent d’orienter les moteurs de la fusée, et donc, de la piloter et de la maintenir sur la bonne trajectoire.

Pour Ariane 6, comme l’explique l’ingénieur Alexis Van Lysbeth de la Sabca, ceux-ci sont désormais électromécaniques, et non plus strictement hydrauliques.

À Liège, l’entreprise Safran Aero Booster produit les vannes qui alimentent les moteurs cryotechniques. Tandis que le Centre spatial de Liège  a réalisé une série de tests cryotechniques pour la validation de divers composants.
La Sonaca (Charleroi) a élaboré diverses pièces métalliques et composites tandis que Thales-Alenia Space Belgique a développé l’électronique de pilotage des tuyères en sous-traitance de la Sabca, mais aussi le système de sauvegarde (destruction en vol) du lanceur.

Plusieurs autres entreprises basées en Belgique ont également apporté leur savoir-faire pour les équipements du pas de tir d’Ariane 6 et d’autres bâtiments au sol à Kourou. Engie Axima (aujourd’hui Equans) a été chargé des installations de refroidissement des bâtiments dans la zone de lancement. « Cegelec, Fabricom (désormais également sous pavillon Equans), Timelink Microsystems et Tranzcom ont également contribué aux systèmes au sol nécessaires au bon déroulement des lancements », rappelle Belspo, la Politique scientifique fédérale belge. C’est à travers Belspo que la Belgique a injecté quelque 222 millions d’euros dans le programme Ariane 6 de l’ESA.

On notera aussi qu’un logiciel (PrestoPlot), développé par Spacebel à destination du CNES, l’Agence spatiale française, opératrice du centre spatial guyanais, sera lui utilisé pour l’analyse différée des paramètres de télémesure d’Ariane 6.

Deux écoles belges à bord!

Grande première pour ce vol inaugural : une expérience scientifique élaborée par des collégiens belges se trouvait également à bord de la première Ariane 6. L’expérience Perigrinus, conçue par des élèves et des professeurs du collège (néerlandophone) Saint-Pierre de Jette et de l’Institut Vallée Bailly, de Braine-l’Alleud, devait mesurer les radiations solaires et le champ magnétique terrestre pendant une heure et demie durant le vol inaugural.

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