Nouvelle espèce découverte par les chercheurs (a–d) Mtshayelo kougaensis © Robert W. Gess & Cyrille Prestianni

Les plus vieux végétaux d’Afrique ont été exhumés

10 septembre 2021
par Camille Stassart
Temps de lecture : 6 minutes

Des végétaux datant de la période dévonienne (il y a 420 à 410 millions d’années) ont été déterrés en Afrique du Sud. Il s’agit des plus anciens fossiles de plantes jamais découverts en Afrique. Parmi les taxons analysés par Cyrille Prestianni, docteur en paléobotanique à l’Institut des sciences naturelles de Belgique et à l’ULiège, trois appartiennent à des genres et des espèces nouvelles. Une découverte qui permettra de mieux comprendre l’évolution de la flore.

Nouvelles espèces découvertes par les chercheurs (a–c) Krommia parvapilla (d–l) Elandia itshoba © Robert W. Gess & Cyrille Prestian – Cliquez pour agrandir

Au commencement, se trouvaient les plantes

Le Dévonien représente le 4e système du Paléozoïque, une ère géologique marquée par la conquête des continents par les organismes.

« À cette époque, la planète était totalement différente de celle qu’on connaît aujourd’hui. On avait alors deux supercontinents : le Gondwana, au sud, et la Laurussia, un peu plus au nord, mais la vie (animale et végétale) s’était exclusivement développée dans l’eau », précise Cyrille Prestianni, chercheur à l’Evolution & Diversity Dynamics Lab. « Dans les océans, on pouvait retrouver des récifs, des poissons, et énormément de plantes aquatiques. Au Dévonien inférieur, ces végétaux ont commencé à conquérir les terres émergées. »

Les plantes sont les premiers organismes à s’adapter à la vie hors de l’eau. Leur arrivée conduit à la création des premiers écosystèmes terrestres. Elles participent, notamment, à la formation des sols, permettant aux insectes, vers de terre, bactéries, et autres, de se développer ensuite.

Etudier les vestiges des plantes de l’époque permet d’en apprendre davantage sur la transition des continents stériles vers la planète actuelle.

Carte du monde à l’époque devonienne © Robert W. Gess & Cyrille Prestianni – Cliquez pour agrandir

Des végétaux dessinés dans la roche

En 2015, lors de fouilles préventives réalisées dans le cadre de l’extension du barrage de Mpofu, en Afrique du Sud, le paléontologue Robert W. Gess, chercheur au New Albany Museum et à l’Université Rhodes, exhume un assemblage de végétaux fossilisés. « Il a fait appel à moi pour les analyser, et nous avons découvert qu’ils dataient de la période dévonienne. C’est la première fois que des plantes aussi anciennes sont trouvées sur le continent », informe Dr Cyrille Prestianni.

Par la suite, les deux scientifiques ont tenté d’identifier à quelles espèces appartenaient ces végétaux. « Aucune analyse chimique n’a pu être réalisée. Les sédiments emprisonnant ces plantes étaient enfouis en profondeur et ont donc été soumis à de fortes chaleurs, dégradant la matière organique des végétaux. On parle dans ce cas de fossiles ‘cuits’ .»

Les chercheurs se sont donc basés sur la forme des plantes, étudiant en détail leur anatomie, et la comparant aux autres fossiles découverts ailleurs dans le monde, datés de la même époque. D’après leur étude, cette flore est remarquable par le grand nombre de spécimens complets ou sous-complets, permettant une bonne compréhension de l’architecture végétale.

Nouvelle espèce découverte par les chercheurs (a–g) Mtshayelo kougaensis © Robert W. Gess & Cyrille Prestianni – Cliquez pour agrandir

A la rencontre de nouvelles espèces

En tout, quinze taxons ont été analysés, dont onze ont été diagnostiqués comme appartenant à des genres connus de la communauté scientifique. Plusieurs de ces plantes appartiennent, notamment, au genre Cooksonia, assez commun à cette époque.

« Mais trois de ces taxons se rapportaient à des genres et espèces qui n’avaient encore jamais été identifiés. On a nommé ces plantes d’après des termes en langues locales, ou des lieux du pays, que l’on a ensuite latinisé. »

Parmi eux, on trouve l’espèce Parvapila (une petite balle, en latin) du genre Krommia (de la rivière Kromme, signifiant « courbé », en afrikaans) ; l’espèce Itshoba (un fouet rituel, en langue xhosa) du genre Elandia (d’Elandsjacht, le nom d’origine de la localité où a été trouvé le spécimen) ; et l’espèce Kougaensis (de Kouga, le nom du district dans lequel se trouve le site) du genre Mtshaelo (un balai rituel, en xhosa).

(a–n) Cooksonia paranensis. Plantes communes de l’époque dévonienne © Robert W. Gess & Cyrille Prestianni – Cliquez pour agrandir

Quand la flore bouleverse le climat

« On est face ici à des organismes extrêmement simples, apparus au tout début de la vie végétale sur Terre. Cette étude n’est que la première étape d’un plus grand projet, lequel se focalisera sur la compréhension de l’organisation et de la dispersion de cette flore dans le monde. On ignore encore beaucoup de choses sur le sujet, les plantes évoluent tellement par la suite qu’il est très difficile d’affirmer qu’une telle est l’ancêtre d’une autre. »

Les études en paléobotanique contribuent à mieux cerner les trajectoires de la vie sur Terre, mais aussi, par exemple, à mieux connaître l’impact des plantes sur le climat. « Durant le Dévonien, le développement des végétaux a conduit à une élévation du niveau d’oxygène et a une baisse du CO2 dans l’atmosphère. Cela a déséquilibré le climat, et a participé au déclenchement de la période de glaciation apparue après le Dévonien. On parle d’un « ice house effect », un effet de serre inverse à ce qui a lieu aujourd’hui. Étudier le passé peut nous donner des indications sur ce qui se produira dans le futur », conclut le paléobotaniste.

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