Réseau de neurones humains © Else If Then

Une population de neurones méconnue orchestre le contrôle moteur

10 septembre 2024
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

Environ 86 milliards. C’est le nombre de neurones que notre cerveau contiendrait. Parmi eux, une infime partie (500.000) a la capacité de produire et de libérer de la dopamine, une molécule chimique impliquée dans les fonctions motrices, psychiques ou encore comportementales des individus.

Celle-ci joue un rôle prépondérant dans le striatum, une structure nerveuse située dans les profondeurs de notre cerveau. Un déséquilibre du taux de dopamine dans cette région cérébrale peut causer de nombreux troubles neuropsychiatriques, tels que l’addiction, l’autisme, la schizophrénie, les troubles obsessionnels compulsifs, le trouble du déficit de l’attention… Et influencer la maladie de Parkinson.

Une nouvelle étude menée par le Neurophy lab de l’ULB, en collaboration avec le Centre de recherche Douglas (Université McGill, Canada), lève le voile sur une petite population de neurones du striatum encore peu étudiée. Révélant que ces neurones exercent une influence aussi importante qu’inattendue sur le contrôle moteur.

Fonctionnement d’un neurone © National Institute on Aging- NIH

Des neurones à double récepteur sous-estimés

Pour bien comprendre la portée de ces résultats, rappelons que les neurones sont des cellules nerveuses qui communiquent entre elles via des signaux électriques et chimiques. Quand un neurone est stimulé, un signal électrique se propage, provoquant la libération de molécules chimiques (des neurotransmetteurs) dans l’espace entre les neurones. Ces molécules vont ensuite se lier aux récepteurs du neurone suivant, ce qui peut soit exciter, soit inhiber, la production d’un nouveau signal électrique dans celui-ci.

Parmi les neurotransmetteurs bien connus, on trouve la dopamine, produite et libérée par certains neurones dans plusieurs régions du cerveau, dont le striatum, impliqué dans le contrôle des mouvements. « Dans le striatum, on distingue deux grandes populations de neurones, chacune présentant un type de récepteurs à la dopamine : D1 ou D2 », précise Christophe Varin, collaborateur scientifique FNRS au Neurophy lab, et participant à l’étude. « L’activation des récepteurs D1 aura un effet excitateur sur le neurone cible, et favorisera la locomotion chez l’individu. Quant à l’activation des récepteurs D2, elle aura un effet inhibiteur, ce qui réduira la locomotion. »

Depuis les années 1990, on sait toutefois qu’il existe une troisième population de cellules nerveuses, celle-ci capable d’exprimer les deux types de récepteurs. « Leur utilité a longtemps été discutée par la communauté scientifique, elles ont donc été un peu laissées de côté. De plus, on ne disposait pas, jusqu’à récemment, de technologies permettant de les cibler spécifiquement », fait savoir Alban de Kerchove d’Exaerde, Directeur de recherches FNRS au Neurophy lab, investigateur du WEL Research Institute, et co-pilote de l’étude.

Des effets majeurs sur la mobilité

Cette étude visait donc, pour la première fois, à mieux cerner ces neurones présentant les deux types de récepteurs à la dopamine (neurones D1/D2). Pour ce faire, l’équipe a généré différentes lignées de souris génétiquement modifiées. Les chercheurs ont ainsi appris que ces neurones « hybrides » constituent 7% du nombre total de neurones dans le striatum des rongeurs. Et sont 6 fois moins nombreux que chacune des deux autres populations (neurones D1 et neurones D2).

Concernant leur rôle dans le striatum, les scientifiques ont montré qu’ils ont un effet majeur sur la locomotion spontanée. « Quand on supprimait le récepteur D1 dans les neurones D1/D2, les souris devenaient en quelque sorte hyperactives, elles étaient davantage mobiles et se déplaçaient plus rapidement », explique le Dr Varin.

Par ailleurs, les neurones D1/D2 apparaissent réguler l’effet pro-locomotion et pro-immobilité des deux autres populations. « Quand on stimulait seulement les neurones D1 (qui sont censés avoir un effet excitateur), l’effet sur la locomotion se révélait très faible. Alors que quand on stimulait en même temps les neurones D1/D2, on notait une augmentation très marquée de cette locomotion ».

Même constat pour les neurones D2, qui ont un effet inhibiteur. En stimulant les neurones D2 seuls, l’effet sur l’immobilité des souris ne durait pas dans le temps. Tandis qu’en co-stimulant les neurones D2 et D1/D2, l’immobilité se maintenait.

Sur la piste des neuropathologies

« Ces neurones semblent donc jouer un rôle de chef d’orchestre sur la locomotion en général », indiquent les chercheurs. Des résultats qui ont surpris : « on a été très étonné qu’ils occupent une place aussi importante dans le fonctionnement du contrôle moteur du striatum, étant donné leur faible nombre. »

Les scientifiques de l’ULB entendent poursuivre leurs recherches sur ces cellules nerveuses, y compris sur leurs impacts dans les neuropathologies. « La contribution des neurones D1/D2 parait tellement centrale dans le striatum qu’une perturbation de leur activité pourrait avoir des conséquences énormes sur les comportements et dans les pathologies neuropsychiatriques, comme la maladie de Parkinson », conclut le Pr de Kerchove d’Exaerde.

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