Une mémoire pas si collective

10 novembre 2020
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes
"Dialogues sur la Belgique", par Olivier Luminet, Valérie Rosoux, Elke Brems, Ariane Bazan, Marnix Beyen. Presses Universitaires de Louvain. VP 19,70 € ,VN en accès libre
“Dialogues sur la Belgique”, par Olivier Luminet, Valérie Rosoux, Elke Brems, Ariane Bazan, Marnix Beyen. Presses Universitaires de Louvain. VP 19,70 € ,VN en accès libre

Qu’est-ce qui façonne la mémoire collective des Belges ? Pour répondre à cette question, un groupe d’universitaires francophones et néerlandophones, mené par Olivier Luminet, professeur de psychologie des émotions et de la santé à l’UCLouvain et à l’ULB, a interviewé longuement 18 personnalités du Nord et du Sud de la Belgique.

Les 9 duos linguistiques sont composés de journalistes, d’hommes politiques, de poètes, de réalisateurs d’écrivains, d’athlètes, de responsables patronaux, de syndicalistes et de théologiens. Dans « Dialogues sur la Belgique », ouvrage édité par les Presses Universitaires de Louvain, on découvre les souvenirs partagés, mais aussi les visions contrastées des deux communautés linguistiques.

Les éléments clés du patriotisme belge

Ce qui structure la mémoire collective, ce sont les souvenirs de moments phares du royaume.

Les expériences collectives traumatisantes semblent unir les Belges, comme l’affaire Dutroux, la catastrophe du Heysel, les attentats commis à l’aéroport et dans le métro de Bruxelles. Mais aussi la mort du Roi Baudouin. Ce décès est mentionné à plusieurs reprises comme un événement historique important.

Du côté positif, citons les exploits musicaux, comme la victoire de Sandra Kim au concours Eurovision de la chanson, et les performances sportives. Lorsque les Diables Rouges, équipe nationale de football, sont au firmament de la gloire, qui s’inquiète de savoir si tel joueur est néerlandophone ou wallon ?

La Seconde Guerre mondiale, sujet de clivage profond

Toutefois, un certain nombre de souvenirs communs, occupant une place totalement distincte dans la mémoire collective de chaque côté de la frontière linguistique, trahissent l’existence d’un profond clivage entre le Nord et le Sud du pays.

Sans surprise, la Première Guerre mondiale, mais aussi la Seconde Guerre mondiale font partie de cette catégorie. « A ce sujet, la représentation est, à ce point, différente en Belgique francophone et néerlandophone qu’on peut difficilement parler de mémoire culturelle commune. Le fait qu’une même figure historique, à savoir Paul De Man, puisse apparaître comme un héros pour les uns et comme un traître pour les autres, rappelle que ce qui importe avant tout, quand il est question de mémoire, est moins le passé en tant que tel, que son inscription dans le présent », explique le quintet d’auteurs.

Celui-ci est composé de Olivier Luminet, de Valérie Rosoux, professeure de sciences politiques au sein de l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe (SPLE) de l’UCLouvain, de Elke Brems, professeure et cheffe du département de traductologie de la Faculté de lettres de la KULeuven, de Ariane Bazan, professeure de psychologie clinique et de psychopathologie au sein du Service de Psychologie clinique et différentielle (SPCD) de l’ULB et de Marnix Beyen, professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Anvers.

Les racines de la méconnaissance de l’autre

« Le sentiment que « nous » ne « nous » connaissons plus ressort incontestablement de l’ensemble des dialogues. Un thème qui revient comme une litanie tout au long des entretiens. Cela se remarque particulièrement dans les choix des personnages. La plupart du temps, nos interlocuteurs choisissent des personnages de leur propre communauté linguistique. »

Parmi le panel d’interviewés, Nina Verhaeghe, journaliste à la VRT, estime que les médias sont, en grande partie, responsables de cette méconnaissance de l’autre communauté linguistique. « À la VRT, on ne s’intéresse guère aux nouvelles de Bruxelles ou de Wallonie. Par ailleurs, les journalistes de la RTBF et de la VRT n’entretiennent que très peu de contacts. »

Parmi les interlocuteurs francophones, plusieurs considèrent également la N-VA comme un facteur explicatif de cette méconnaissance réciproque. « La N-VA semble souvent perçue comme un agent de polarisation qui favoriserait la détérioration de l’image que les Wallons se font des Flamands. »

En tout cas, pour un certain nombre d’interlocuteurs, le multilinguisme est présenté comme le levier de l’émancipation et de la citoyenneté. Les entretiens, menés dans les deux langues, révèlent que c’est aussi une condition pour créer un récit commun.

 

 

 

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