Du rouge, du bleu, du doré et une multitude de nuances de vert. A l’Université de Namur, certains chercheurs en voient de toutes les couleurs. Principalement au laboratoire de physique du solide où deux scientifiques, Sébastien Mouchet et Olivier Deparis, ont cosigné un ouvrage consacré à la photonique naturelle, « Natural Photonics and Biosinspiration », paru aux Editions Artech House.
« Nous tentons de comprendre par quels mécanismes précis, selon quelles structures optiques, les espèces vivantes produisent d’innombrables palettes de couleurs », explique le Dr Sébastien Mouchet, chercheur BEWARE et maître de conférence.
Dans la nature, trois grandes techniques produisent des couleurs: la pigmentation, les structures photoniques et les émissions lumineuses.
La pigmentation, c’est par exemple la mélanine qui colore nos cheveux. Dans le cas des émissions lumineuses, il s’agit principalement d’épisodes de fluorescence. Les insectes y ont recours, mais aussi certaines méduses.
Papillon et punaise
Quant aux structures photoniques, elles sont au cœur des travaux du Laboratoire namurois de physique du solide. Il s’agit des minuscules structures physiques présentes à la surface des animaux qui interagissent avec la lumière et qui en absorbent certaines longueurs d’ondes, générant ainsi de multiples couleurs. Si les ailes du papillon présentent des motifs chamarrés, c’est par ce procédé.
« Cela se fait de différentes manières», reprend le Dr Mouchet. « La superposition de diverses couches de matière en est un exemple, comme on vient de le montrer avec des collègues de KULeuven. Nos travaux ont, en effet, pu déterminer que la couleur dorée de la punaise résultait de ce phénomène de multicouche dite biaisée. »
« L’iridescence est également une des propriétés des structures photoniques. Il s’agit ici de la production de couleurs qui changent en fonction de l’angle d’incidence. »
Préservation de manuscrits médiévaux
Comprendre comment le vivant produit ses couleurs est une démarche de recherche fondamentale. Le livre qui vient d’être publié, très technique, fait le point sur ces questions et les avancées de ces dernières années en la matière.
« C’est un livre qui s’adresse à des lecteurs du niveau master », concède le Pr Deparis. « Il dresse l’état de l’art de ce domaine. Un domaine de recherche qui a réellement pris son envol au début de ce siècle ».
Les applications concrètes qui découlent de ces travaux en photonique du vivant ne sont pas absentes des préoccupations des chercheurs. « Le fruit de nos travaux trouve des applications dans les problèmes de conservation du patrimoine », indique le Pr Olivier Deparis, qui dirige le laboratoire namurois de physique du solide. « Les techniques utilisées dans nos recherches et leurs résultats nous aident à mieux étudier et préserver des parchemins anciens et autres manuscrits médiévaux, ainsi que leurs pigments. »
Moins de collisions entre oiseaux et vitres
Dans un tout autre contexte, le Dr Mouchet a travaillé sur le revêtement de surfaces vitrées afin d’y limiter les impacts d’oiseaux.
« Des millions d’oiseaux percutent les surfaces vitrées chaque année parce qu’il ne les voient pas », indique le physicien. « Bien souvent, cette collision est fatale pour l’animal. Comment limiter les dégâts? On sait que la pose de silhouettes de rapaces n’empêche pas les impacts », explique-t-il. « J’ai travaillé sur une alternative: ajouter une série de dessins sur les vitres au moyen de traitements de surface invisibles à l’œil humain mais perceptibles par les oiseaux . »
Une recherche qui a livré de bons résultats, assure-t-il. « Reste à régler la question de l’efficacité dans le temps de ce revêtement qui peut être altéré par les éléments extérieurs ».
De son côté, une ancienne doctorante du laboratoire, la Dre Annick Bay, a travaillé sur l’efficacité de la transmission de la lumière générée par des LED. Ici aussi, il s’agit d’abord de comprendre comment fonctionne le vivant pour ensuite s’en inspirer. Dans le cas présent, l’inspiration est venue des minuscules structures photoniques qu’on retrouve chez la luciole.
A Namur, les travaux du Dr Mouchet portent cette fois sur le contrôle de radiations thermiques grâce à des structures bioinspirées. Manifestement, la Nature a encore de nombreux secrets à nous révéler.