Ruines de Montaigle, par Antoine Vasse © Buekenhoudt-De Wan

Un voyage intimiste depuis son divan

7 novembre 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

A la fin du 18e siècle, apparaît une nouvelle notion artistique : le pittoresque. Décliné dans toutes ses nuances par la technique de la lithographie, il a notamment eu son heure de gloire dans les albums de voyage. Ceux-ci invitent le lecteur à la pérégrination depuis son salon. Au TreM.a – Musée des Arts anciens, la Société Archéologique de Namur présente « Pictoresque », une exposition de lithographies de la vallée mosane, riche en mystérieux châteaux, debout ou en ruines.

Vue du Château de Vêves à Celles, par Antoine Dewasme © Buekenhoudt-De Wan

Une profusion de détails

Le pittoresque se situe à la croisée des chemins, entre le classicisme et le romantisme. Il veut rompre avec le classicisme, trop académique, au point d’en oublier la sensibilité de l’artiste. Le romantisme, au contraire, la laisser exploser, les œuvres reflétant toutes les sensations que l’on peut percevoir. Le pittoresque, quant à lui, a comme dessein de transmettre une sensibilité, mais liée exclusivement aux paysages.

William Gilpin, un religieux anglais, va théoriser le pittoresque dans 3 essais parus au 18e siècle. « Le pittoresque, c’est dégager toutes les particularités du paysage et les mettre en valeur en les accentuant. Des détails anecdotiques comme des ruines ou un moulin sont prisés. La représentation d’un petit torrent fait ressortir le caractère vivant du paysage. Les artistes vont en plus ajouter des petits personnages, car ils permettent aux spectateurs d’aller de plus en plus loin dans l’image et de gratter tous ces petits détails », explique Aurore Carlier, commissaire de l’exposition.

En parcourant un album pittoresque, le lecteur devient voyageur. Il découvre l’ailleurs ou le passé depuis son fauteuil. « L’album pittoresque, c’est aussi le besoin d’affirmer une nation en glorifiant son patrimoine », poursuit-elle.

Château de Valzin, par Jean-Baptiste Madou © Buekenhoudt-De Wan

Une révolution d’impression

Après plusieurs siècles de gravure sur bois et sur métal, la lithographie est inventée en 1796. Elle constitue une révolution technique, économique et sociologique qui reflète les exigences de la révolution industrielle : souci de rapidité, d’exactitude, d’abaissement des coûts. C’est cette technique d’impression qui est utilisée pour réaliser les albums pittoresques.

La pierre est d’abord grainée, poncée pour la rendre légèrement poreuse. Sur cette pierre, le lithographe recopie librement, à l’envers, le dessin croqué par un dessinateur lors de ses pérégrinations, avec un crayon noir gras qui va imprégner le support calcaire. La pierre est, ensuite, nettoyée avec de l’eau, enlevant le dessin, mais préservant la présence de gras dans ses pores. « Une fois que le lithographe a ajouté l’encre d’impression, le dessin réapparaît grâce au dépôt de gras dans les pores. Cela agit comme un tampon », précise Aurore Carlier.

« On met alors une feuille, on presse sous presse, imprimant le dessin. Après, il faut faire sécher les feuilles, car elles sont imprégnées d’humidité. On peut réencrer autant de fois que l’on veut. Du moins tant qu’on ne reponce pas la pierre, car cette action efface le dessin. »

C’est en 1817 que la lithographie est introduite en Belgique. Quelque 950 lithographes y sont dénombrés avant 1865. Le plus célèbre d’entre eux est Jean-Baptiste Madou. L’avènement de la photographie va faire mourir la lithographie. Aujourd’hui, elle ne demeure utilisée que par quelques artistes.

Les deux pierres exposées dans la vitrine ont 100 ans. Celle de De Roisin date de la fin du 19e, début du 20e siècle © Laetitia Theunis

 

Pierre lithographique présentant le dessin à l’envers © Laetitia Theunis

Payement en avance

Si la lithographie permet des reproductions de vues en de nombreux tirages et à coûts réduits, il n’en reste pas moins que la réalisation d’un album pittoresque nécessite des moyens financiers importants.

C’est ainsi que les lithographes ne travaillent que sur base de souscriptions. Essentiellement auprès des propriétaires des châteaux et domaines mis en exergue. En préface de l’ouvrage, figure, en lettres d’or, la liste des souscripteurs.

Mieux valait ne pas être pressé pour détenir le chef-d’œuvre. En effet, il fallait compter 3 ans pour publier les 202 planches que compte un album. Les souscripteurs les recevaient au fur et à mesure de leur conception, par paquet de 8.

Marche-les-Dames, par Paul Lauters © Buekenhoudt-De Wan

Des images en couleurs

Dès le début de la lithographie, sont proposées aux souscripteurs une version en noir et blanc et une version aux couleurs rehaussées manuellement à l’aquarelle. Un travail long et coûteux. « Ce n’est qu’à la fin des années 1840, début des années 1950, que l’on va passer à la chromolithographie où la pierre est directement colorée. Cette superposition de plusieurs couches de couleurs permettra d’obtenir une lithographie colorée. »

Au-delà des albums de voyage, la lithographie va faire rentrer l’image dans le quotidien des gens. Avant, il y avait bien des gravures, mais elles étaient très chères : il n’y avait donc pas de foisonnement d’images dans l’espace public. Mais la lithographie diminuant les coûts d’impression, elle va être privilégiée pour imprimer des affiches, des annonces de cirque ou de théâtre. C’est ainsi que l’image va peu à peu intégrer la rue, chose impossible auparavant », conclut Aurore Carlier.

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