Chaque année, les glissements de terrain emportent la vie de milliers de personnes. Particulièrement dans les pays en développement de la ceinture équatoriale. Se basant sur l’analyse de six décennies de données, des chercheurs du Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), de la KULeuven et de l’Université libre de Bruxelles montrent comment la déforestation, l’expansion agricole et la croissance démographique ont grandement influencé le risque de glissements de terrain dans le Rift du Kivu. Cette étude a été menée dans le cadre du projet PAStECA, financé par le programme BRAIN-BE (BELSPO), afin d’évaluer les changements environnementaux en Afrique centrale.
Démographie galopante, déforestation, expansion agricole sont au cœur du problème
Entre 1975 et 2015, la population mondiale est passée de 4 à 7 milliards de personnes. Simultanément, le nombre de personnes exposées aux risques naturels a presque doublé.
Globalement, la demande croissante de nourriture et de ressources, ainsi que la perte de productivité des sols due à une mauvaise gestion des terres, ont incité les populations à étendre les terres agricoles aux dépens d’écosystèmes quasi naturels. Et donc, à déforester massivement.
« Dans les zones vallonnées et montagneuses, cette expansion agricole augmente le risque de glissement de terrain car implantée sur des terrains plus escarpés. Les processus de dégradation de l’environnement associés à la colonisation des terres peuvent, à leur tour, augmenter les risques de glissement de terrain », explique Dr Arthur Depicker, chercheur en géographie au Musée royal de l’Afrique centrale et à la KULeuven.
La déforestation est un facteur clé des glissements de terrain dans les régions en développement, en particulier au cours des 15 premières années suite à la suppression du couvert forestier qui maintient la cohésion du sol. Une fois les zones déboisées, les fortes pluies sont généralement directement responsables du déclenchement des glissements de terrain.
Des preuves venues du Rift Kivu
Depuis longtemps, les scientifiques supposent que la dynamique des populations et les changements d’utilisation du sol qui y sont associés influencent le risque de glissements de terrain. Mais cela n’avait pas encore été démontré.
« En effet, il est difficile d’étudier ces interactions entre l’homme et la nature, en particulier dans les pays du Sud où les données historiques sur les glissements de terrain et les forêts sont rares », continue le chercheur.
Avec des collègues, il s’est penché sur le cas particulier du Rift du Kivu. Cette région équatoriale densément peuplée du Burundi, du Rwanda et de l’est de la République Démocratique du Congo est très exposée aux glissements de terrain.
Des archives photographiques de plus d’un demi-siècle
« Nous avons développé un modèle de risque de glissement de terrain holistique qui évalue 58 ans de tendances de la population et de la couverture forestière », explique le géographe.
Concrètement, les chercheurs se sont appuyés sur plus de 2000 photographies aériennes historiques datant de 1958, conservées au MRAC. Cette collection a permis d’étudier l’occupation du sol et la déforestation (ou l’afforestation) depuis la fin des années 1950 jusqu’en 2016. C’est-à-dire durant une période beaucoup plus longue que ne le permettaient les seules images satellites.
Un risque double en RDC
L’étude montre que le risque actuel de glissement de terrain dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) est deux fois plus élevé qu’au Rwanda et au Burundi voisins.
Comment l’expliquer ? « Les ménages congolais peuplent souvent des terrains plus escarpés, probablement en raison de conflits et de facteurs d’attraction économique tels que l’exploitation minière. »
« De plus, la récente déforestation à grande échelle de la forêt tropicale primaire y a considérablement exacerbé le risque de glissement de terrain », enchaîne Dr Arthur Depicker.
« Notre étude montre clairement comment l’héritage de la déforestation, des conflits et de la dynamique des populations se reflètent dans le risque de glissement de terrain dans le Rift du Kivu », conclut le chercheur.