A Bruxelles, ce n’est pas le retour des hirondelles qui annonce le printemps. Mais bien celui des faucons pèlerins sur leurs sites de couvaison, installés sur les plus hauts édifices de la ville. Cette année encore, la nidification est à suivre en direct grâce à des caméras HD installées au plus proche des nids sur quatre sites par l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB).
Les naissances se succèdent en avril
« Alors que nous vaquons à nos occupations, mâle et femelle Pèlerins se relaient discrètement sur leurs œufs. La couvaison dure 32 jours avant qu’apparaissent de petits fauconneaux recouverts d’un duvet blanc immaculé. Six semaines plus tard, c’est déjà le temps de l’envol ! Les jeunes faucons vont se jeter dans le vide, de plusieurs dizaines de mètres de hauteur, afin de rejoindre leurs parents. Dans l’intervalle, les fauconneaux auront fameusement grandi : ils seront passés de 35 g à 1000 g, du moins dans le cas des femelles », explique Didier Vangeluwe, ornithologue à l’IRSNB, et organisateur du programme Faucons pour tous.
Au sommet de la tour nord de la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule, le couple qui a installé son nid dès 2019 est de retour cette année. Il couve 2 œufs qui devraient éclore vers le 14 avril. « A l’Église Saint-Job, à Uccle, les Pèlerins couvent 4 œufs depuis le 9 mars. Ce couple est le même depuis 2015. Les deux parents ont déjà élevé ensemble 27 fauconneaux dans le clocher de l’église ! L’éclosion de leurs œufs est prévue vers le 9 avril. »
Quant au couple qui niche au sommet de la tour de la maison communale de Wolumé-Saint-Lambert, il couve 4 œufs dont l’éclosion est attendue aux environs du 27 avril.
Le DDT, un insecticide meurtrier
Si observer la vie des faucons pèlerins apporte de riches connaissances aux scientifiques et de la joie à beaucoup de concitoyens, ces champions du monde de vitesse (pointes de plus de 200 km/h) furent mis à rude épreuve au siècle dernier.
Dès les années 1900, comme tous les rapaces diurnes, les faucons pèlerins ont été intensivement chassés. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ils étaient systématiquement abattus afin de protéger les pigeons porteurs de messages.
Entre 1942 et 1972 , le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) a connu son heure de gloire. Polluant organique persistant, cette molécule extrêmement toxique a entraîné un déclin important des populations de rapaces, empoisonnant adultes et œufs. Notamment des faucons pèlerins, grands consommateurs d’oiseaux insectivores.
La découverte du potentiel du DDT comme poison contre les arthropodes a valu au Suisse Paul Muller le prix Nobel de médecine en 1948. La molécule a été intensément diffusée pour protéger les soldats et les citoyens des maladies transmises par les insectes, en particulier les moustiques. Elle a, notamment, permis d’enrayer une épidémie de typhus à Naples en 1943-44, de faire disparaître le paludisme en Corse et d’éradiquer la peste en Inde.
Sa large utilisation liée à ses propriétés remarquables a eu, en parallèle, des effets extrêmement négatifs : les insectes sont devenus résistants, les populations de rapaces ont rapidement décliné, sa forte rémanence a entraîné une perturbation prolongée des écosystèmes. Sa présence tout le long de la chaîne alimentaire, jusqu’à l’humain, a définitivement condamné le DDT. A partir de 1972, son usage est interdit en Europe et en Amérique du Nord.
Le retour du pèlerin
Mais le mal était fait. En 1973, le dernier faucon pèlerin nicheur disparaît de Belgique.
Le triste sort des oiseaux n’est pas resté sans suite. En 1979, la première directive Oiseaux est établie en Europe. Désormais, les espèces aviaires sauvages sont protégées au sein de l’Union. En parallèle, les pesticides les plus dangereux sont bannis, plusieurs programmes d’élevage et de réintroduction des faucons pèlerins sont lancés et des nichoirs sont installés en de nombreux endroits.
Ces efforts de conservation portent leurs fruits. « Dès 1994, le faucon pèlerin réapparaît dans le ciel wallon. Aujourd’hui, entre 200 et 250 couples nichent en Wallonie. A Bruxelles, on en compte 12, avec un retour observé en 2004 », explique Didier Vangeluwe. « L’espèce parvient à se stabiliser, c’est très positif. Y aura-t-il beaucoup d’autres couples supplémentaires à l’avenir ? Je ne pense pas. C’est une espèce territoriale, et le nombre de sites bruxellois n’est pas infini. »
Des mâles casaniers, des femelles voyageuses
Les femelles sont bien plus aventurières que les mâles. Il est commun qu’elles s’éloignent de leur lieu de naissance d’une bonne centaine de kilomètres. Les mâles au contraire restent au maximum à une vingtaine de kilomètres du nid qui les a vus naître.
«Prenons l’exemple du couple qui niche actuellement à la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule : le mâle est né à Anderlecht, tandis que la femelle provient d’au-dessus de Cologne. » Dans la tour du bâtiment A du campus du Solbosch de l’Université libre de Bruxelles, les deux nicheurs sont bagués. « La femelle est née en avril 2014, aux Pays-Bas, non loin de Maastricht, à 106 km de distance. Quant au mâle, c’est un vrai Bruxellois. Il a vu le jour en 2012 à l’Eglise Notre-Dame de Laeken, avec vue sur le parc royal. La distance n’est ici que de 8 km entre le site de naissance et le site de nidification », précise l’ornithologue.
Comment expliquer cette différence entre sexes? « Une hypothèse est celle d’un plus grand brassage génétique. » Un élément capital pour la survie d’une population, particulièrement lorsqu’elle est de faible densité.