La phagothérapie comme alternative aux antibiotiques dans les fermes

11 avril 2023
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

La question de la multirésistance développée par certaines bactéries face aux antibiotiques est un problème majeur de santé publique. Et pas uniquement en médecine humaine. Les éleveurs et les vétérinaires y sont aussi confrontés. Dans les fermes, si des antibiotiques sont également utilisés pour traiter les animaux malades, leur usage est en nette régression. Et cette tendance pourrait s’amplifier à l’avenir, avec l’avènement de thérapies vétérinaires basées sur les bactériophages.

La Belgique parmi les bons élèves européens

Quelques chiffres pour fixer les idées. « Dans le monde, la médecine vétérinaire consomme 99.500 tonnes d’antibiotiques chaque année. C’est énorme », s’exclame le Dr Cyrille N’Gassam, directeur de recherche chez Vésale Bioscience.

Le vétérinaire précise: « l’essentiel de cette consommation se concentre en Asie (67 %). Et la tendance est plutôt à la hausse. En Europe, cette consommation représente 10 à 15 % du volume mondial. Tandis qu’au sein de l’Union européenne, où beaucoup d’efforts sont faits pour réduire cette consommation, nous n’utilisons que 6.300 tonnes d’antibiotiques chaque année, pour traiter les animaux de production ».  Réduire l’utilisation d’antibiotiques, mieux la cibler est une des manières d’enrayer le risque de voir des bactéries devenir multirésistantes à ce type de médicaments. Dans un contexte global, celui du « One Health », où on se préoccupe en même temps de la santé animale, de la santé humaine et de la santé de notre environnement, cette stratégie de réduction prend tout son sens.

Parmi les bons élèves européens, la Belgique figure en bonne place. Dans notre pays, l’usage d’antibiotiques est en nette diminution ces dernières années. Précisément afin de limiter la multiplication de cas d’antibiorésistance. Pour repousser encore un cran plus loin l’usage d’antibiotiques en médecine vétérinaire, et plus particulièrement en ce qui concerne les animaux de production (porcs, volailles, vaches…), les phages pourraient bien constituer une alternative de choix.

« Dans notre pays, la lutte contre l’antibiorésistance dans le secteur des animaux de production a été au centre d’une politique ambitieuse lancée en 2011 », rappelait voici quelques jours David Clarinval vice-Premier ministre (MR) belge et ministre fédéral de l’agriculture, dans le cadre de la première conférence de la « Phage Academy », proposée par Vésale Bioscience.

Un plan stratégique qui porte ses fruits

« Grâce au travail de l’AFSCA (Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire) et à une série de partenaires institutionnels et professionnels, le premier plan belge visant à réduire l’usage d’antibiotiques dans les fermes a permis d’abaisser de 45 % la circulation de ce type de médicament dans nos exploitations sur une période de dix ans », indique le ministre. « Parallèlement, on a assisté à une diminution de 74 % de l’usage d’aliments médicamenteux donnés aux animaux. Ainsi qu’une diminution de l’utilisation de 83 % d’antibiotiques critiques (des médicaments utilisés en médecine humaine et exceptionnellement administrés à des animaux). »

Depuis 2021, un nouveau plan stratégique, Vision 2024, a, par ailleurs, été mis sur rails en Belgique. Il vise à faire baisser davantage et de manière tout aussi substantielle la circulation d’antibiotiques dans le milieu agricole en Belgique. Et ce, en étendant son champ d’application des trois types d’animaux déjà concernés depuis 2011 (poulets, porcs et veaux de boucherie) aux animaux de rentes (comme les vaches laitières) ainsi qu’aux animaux domestiques.

Un des leviers à actionner pour rencontrer les objectifs du plan fédéral passe par le recours à des alternatives aux antibiotiques. Parmi celles-ci, on retrouve les phages, ces virus capables de neutraliser des bactéries de manière très ciblée.

Outils d’une médecine vétérinaire personnalisée

« Il existe sur Terre bien plus de variétés de phages que de bactéries », souligne le Pr Damien Thiry, vétérinaire virologue spécialisé en bactériophages du Farah (Fundamental and Applied Research for Animals & Health), à l’Université de Liège. « Chaque espèce de phage est spécifique à un certain type de bactérie. Pour éliminer des bactéries au moyen de phages, il faut donc bien connaître l’agent infectieux auquel on est confronté et sélectionner les bactériophages en conséquence ».

« Dans les élevages touchés, par exemple, par des cas de mammite (une très commune infection des mamelles), l’idée est d’utiliser un cocktail de phages spécifiques par rapport à l’infection qui s’y déclare. Histoire de ratisser utile », indique de son côté, Johan Quintens, scientifique en chef chez Vésale Bioscience.

L’avantage de cette alternative aux antibiotiques prend donc la forme d’une thérapie ultra personnalisée. L’agent infectieux responsable des cas de mammites dans une exploitation n’étant pas nécessairement le même que celui actif dans une ferme voisine, les traitements seront donc différents.

Avec les phages, on réduit donc non seulement les risques liés à l’utilisation d’antibiotiques, mais également, on prévient d’une certaine manière les risques de voir apparaître des multirésistances… aux phages.

L’union fait la force

« Ceux-ci sont en constante évolution », souligne le Pr Thiry. « Ils s’adaptent aux bactéries qu’ils ciblent. Mais surtout, nous avons déjà pu observer qu’une fois leur boulot accompli, quand ils ont réussi à éliminer la bactérie ciblée, ils sont à leur tour éliminés par le système immunitaire de l’individu ou disparaissent d’eux-mêmes. »

« Et nous avons aussi la chance de pouvoir utiliser des phages différents en médecine vétérinaire par rapport à la médecine animale », inique de son côté Johan Quintens.

Grâce à ces virus alliés, verra-t-on un jour apparaître des fermes labellisées « zéro antibiotiques » en Wallonie ? Les participants à la première « Phage Academy » ne le pensent pas. « On devrait plutôt aider à réduire encore de manière significative l’usage d’antibiotiques », estime M. Quintens. Qui conclut, « et ce, grâce à leur action combinée à un cocktail de phages. »

Haut depage