André Vésale, un scientifique moderne bien avant l’heure

11 juin 2015
Par Jean Andris
Durée de lecture : 5 min

Médecin, anatomiste, chercheur éclairé… André Vésale vient de (re)prendre ses quartiers en plein cœur de Bruxelles. Une passionnante exposition consacrée à ce Bruxellois né voici tout juste 500 ans, et qui fut le médecin personnel de Charles Quint, est à découvrir au Coudenberg, l’ancien Palais de Bruxelles dont les vestiges se visitent… sous la place Royale actuelle.

 

Auteur et illustrateur de « La fabrique du corps humain »

 

André Vésale est né à Bruxelles en 1514, il a étudié à Louvain, avant de partir pour Paris, puis de terminer ses études de médecine à Padoue, où il fut reçu médecin en 1537.

 

Nommé professeur d’anatomie et de chirurgie dans l’université de la même ville, il illustrait ses cours avec des planches dessinées, pour pallier le manque de cadavres à disséquer. En se basant sur ses propres dissections, il corrigea un certain nombre d’erreurs de ses prédécesseurs. Des prédécesseurs qui, ainsi que la plupart de ses contemporains, se contentaient de répéter ce qu’avaient prétendu des auteurs de l’Antiquité comme Galien et Hippocrate, sans toujours se baser sur l’observation directe.

 

La démarche d’André Vésale fait de lui un des pionniers de l’anatomie moderne, comme l’illustre son fameux traité intitulé « De Humani Corporis Fabrica » (La fabrique du corps humain), qu’il dédie à l’empereur Charles Quint.

 

« Premier médecin » de Charles Quint

 

Vésale devint aussi le médecin de l’empereur Charles Quint. Il porte même le titre de « premier médecin ». Il se réinstalle donc à Bruxelles, ville de résidence du monarque.

 

Frontispice et portait (en tête d’article), d’André Vésale dans « De humani corporis fabrica » de 1543, attribués à Jan Stephan Van Calcar (1499-1548). (Cliquez pour agrandir)
Frontispice et portait (en tête d’article), d’André Vésale dans « De humani corporis fabrica » de 1543, attribués à Jan Stephan Van Calcar (1499-1548). (Cliquez pour agrandir)

 

« On retrouve là l’itinéraire typique d’un scientifique universitaire moderne, telle qu’on peut l’attendre encore aujourd’hui », souligne le Pr Thierry Appelboom, professeur émérite de rhumatologie à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et historien de la médecine.
« Il est allé voir ce qui se faisait dans d’autres universités, il a fait des recherches et il en a publié les résultats. Il a également utilisé ses capacités de raisonnement pour innover ».

 

Rénovateur de la pensée médicale

 

« Vésale s’est donc comporté en véritable rénovateur de la pensée médicale », fait remarquer le Pr Appelboom. La médecine de son époque était basée sur l’équilibre des humeurs, celles que l’on retrouve dans les discours des médecins de Molière. Il s’agissait du sang, de la lymphe, de la bile et de l’atrabile (que personne n’avait jamais observée).

 

Pour les maladies résultant d’un tel déséquilibre, les traitements visant à rétablir celui-ci étaient faits de saignées, de lavements et autres ventouses. Des débats interminables se déroulaient entre médecins pour savoir où pratiquer ces saignées : du côté malade ou de l’autre côté? A proximité du problème ou à distance ? Pour apporter des réponses à ces questions, Vésale a pratiqué des dissections, ce qui lui a permis de préciser où il était préférable de planter la lancette.

 
Le cœur démystifié

 

"Vésale, médecin de Charles Quint", édition M.E.O. Publié en coédition avec le Musée de la Médecine de l'Université Libre de Bruxelles (Hôpital Érasme).
« Vésale, médecin de Charles Quint », édition M.E.O. Publié en coédition avec le Musée de la Médecine
de l’Université Libre de Bruxelles (Hôpital Érasme).

 

« Vésale s’est encore distingué à propos du cœur », ajoute Thierry Appelboom, commissaire de l’exposition et coauteur du livre « Vésale, médecin de Charles Quint » . « A son époque, le cœur était considéré comme le siège des sentiments. d’où l’expression « avoir du cœur ». Vésale s’est intéressé à l’anatomie de cet organe. Il voulait comprendre la nature de ce « centre des sentiments ». On pensait à l’époque qu’il existait des points de passage, des pores, entre les deux ventricules. Grâce à ses observations, Vésale remet en question cette notion ».

 

« Clinicien » des grands de son époque

 

L’illustre médecin ne se contentait pas de faire de la recherche. Il soignait les malades comme le font aujourd’hui les « cliniciens ». A ce titre, il s’occupait des grands de ce monde. Alors qu’il était médecin de Charles Quint, Vésale est envoyé par l’Empereur auprès du roi de France Henri II. Celui-ci avait reçu une lance dans l’œil au cours d’un tournoi. Ses médecins ne parvenaient pas à le traiter efficacement. En bon scientifique, pour comprendre la blessure royale et tenter de mieux adapter son traitement, Vésale a fait refaire expérimentalement le trajet de la lance à travers des têtes humaines récupérées sur les cadavres des condamnés à mort. Bien que cela n’ait malheureusement pas servi, en fin de compte, à sauver le roi de France, il y avait là, une fois de plus, une vraie démarche scientifique.

 

Par contre, lorsque Don Carlos, fils du futur roi d’Espagne Philippe II, lui-même fils de Charles Quint, fit une chute dans un escalier, le médecin bruxellois fit des merveilles. Appelé à son chevet alors qu’il était comateux, Vésale a perforé le crâne du jeune prince et a évacué le sang qui s’y trouvait épanché. C’est encore aujourd’hui la base du traitement de certaines hémorragies intracrâniennes.

 

Précurseur des modernes

 

A Bruxelles, André Vésale ne manquait pas de travail. Son empereur souffrait de plusieurs maladies : goutte, migraine, malaria, caries dentaires et même syphilis. Pour le soigner, il s’est employé à utiliser des plantes médicinales connues à l’époque. Il était donc à la fois un connaisseur et un praticien renommé de l’art de guérir du XVIe siècle. Par son attitude rationnelle et sa démarche scientifique, il a posé les jalons de la médecine moderne.

 

 

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