Eduquer au doute raisonnable : une des missions centrales de l’école

11 septembre 2023
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
« À l’école du doute », par Marc Romainville. Presses universitaires de France. VP 17 euros, VN 13,99 euros

Aux Presses universitaires de France, le livre «À l’école du doute» défend l’idée qu’éduquer au doute raisonnable est l’une des missions centrales de l’école. Outils à l’appui.

Selon son auteur, le Pr Marc Romainville, «l’éducation au doute ne doit pas s’envisager sous l’angle d’un vaste combat entre le bien-penser et le mal-penser. Il ne s’agit pas d’ériger une pensée unique contre une autre. Ni d’idolâtrer une vérité intangible et infaillible à l’encontre d’une sombre post-vérité.»

Le responsable du Service de pédagogie universitaire de l’UNamur souligne qu’«une éducation au doute et au scepticisme n’est efficace qu’à la condition d’être ancrée dans des contenus disciplinaires précis. L’enseignant de biologie peut décortiquer le chant des sirènes des adeptes des théories créationnistes. L’enseignant de physique, n’est-il pas le plus outillé pour expliquer comment les théories platistes cherchent à nous séduire à coups d’illusions d’optique?»

Contrer Internet

L’école dispose de solutions pour contrecarrer ses concurrents qui contestent, sur Internet, la véracité des savoirs enseignés. Première contre-offensive: fournir aux élèves des outils pour décrypter les fausses informations. Enseigner des alternatives solides. «Un des meilleurs remparts au créationnisme consiste à prodiguer un enseignement, précis et argumenté – mais aussi prudent et modeste – de la théorie scientifique actuellement considérée comme la plus valide, dite de l’évolution», estime Marc Romainville.

Deuxième solution: apprendre aux élèves à aborder intelligemment la masse d’informations disponibles. Les doter de compétences numériques, médiatiques, informationnelles pour évaluer la nature et la valeur des informations transmises.

Spécialiste de la formation à l’esprit critique et de la métacognition, le Pr Romainville envisage une autre voie. Regarder ses propres mécanismes de pensée. «Cette piste consiste à montrer aux élèves qu’il est tout à fait normal que leur cerveau se fourvoie parfois étant donné les entreprises de désinformation dont il est la cible. Ces entreprises profitent de failles cognitives et émotionnelles naturelles présentes dans la façon de penser de tout être humain.»

Le piège des idées toutes faites

Le chercheur élargit le champ de la métacognition à la prise de conscience des mécanismes de la pensée flasque, paresseuse et impulsive. Pour faire découvrir expérimentalement les systèmes qui gouvernent la pensée.

«Les circuits profonds de la pensée naturelle nous conduisent parfois à commettre de sérieuses bévues», dit Marc Romainville. «Sans pour autant que nous ne soyons ni débiles, ni paranoïaques, ni dérangés mentalement. Au contraire, il faut reconnaître que les personnes ont des raisons – ou des motivations du moins – de penser comme elles pensent. Des mécanismes paresseux de pensée, combinés parfois à des enjeux émotionnels, les conduisent à ce que des observateurs extérieurs vont appeler de la crédulité.»

On s’accroche parfois à des choix parce qu’on y a investi beaucoup d’énergie et de temps. Ces possibilités permettent souvent de résoudre les problèmes les plus fréquents. D’adopter des comportements adéquats. «C’est bien là que réside le piège des idées certes toutes faites, mais souvent opérationnelles. C’est le psychologue Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, qui nous a alertés sur ce paradoxe.»

Face à un problème, le premier réflexe est d’activer un système simple et rapide, aisément disponible en mémoire. Une éducation au doute suppose de sensibiliser les élèves à enclencher un second système où se loge le scepticisme. Plus lent, plus analytique, il demande davantage d’efforts, d’attention.

Raisonner autrement

Pour Marc Romainville, il s’agit d’«inciter les jeunes à s’interroger sur les sources de leurs erreurs, celles-ci étant commises de bonne foi, si l’on peut dire. En absence de cette prise de conscience, il est illusoire d’exiger des élèves qu’ils corrigent, uniquement parce qu’une autorité le réclame. Mieux vaut leur faire découvrir, preuves à l’appui, qu’ils ont malheureusement été les victimes non consentantes d’approximations de pensée.»

«Cette conscientisation est essentielle, mais délicate car elle suppose, d’une part, que les élèves reconnaissent qu’ils se sont, même si c’est à leur esprit défendant, fourvoyés. Et d’autre part, qu’ils acceptent d’envisager de raisonner autrement.»

Des études du professeur de psychologie sociale britannique Viren Swami montrent que l’adhésion aux théories conspirationnistes est corrélée avec certaines prédispositions individuelles.

«À l’inverse, des personnes qui privilégient la pensée analytique et font preuve d’une certaine ouverture d’esprit se montrent intéressées par la découverte d’autres points de vue», relève le Pr Marc Romainville.

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