Des milliers de Bruxellois concernés par la vulnérabilité hydrique

13 septembre 2023
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Balayant l’idée reçue selon laquelle la difficulté d’accès à l’eau ne concerne que les pays les plus pauvres, le projet HyPer, soutenu par Innoviris, met en évidence le problème de la vulnérabilité hydrique à Bruxelles. L’équipe du projet menée par Chloé Deligne, chercheuse qualifiée FNRS et coordinatrice du laboratoire interdisciplinaire en Etudes urbaines de l’ULB, a tenté de mieux cerner cette réalité. Ses résultats donnent lieu à une série de recommandations afin de faire face à cette problématique, largement sous-estimée.

Vulnérabilité versus précarité

Les chercheurs définissent cette vulnérabilité hydrique comme une situation dans laquelle une personne rencontre des difficultés d’accès à l’eau d’hygiène en raison de son coût et/ou des caractéristiques de son logement, ou tout simplement par l’absence de logement.

« Avec ce concept, on voulait se dissocier de celui de “précarité hydrique”, qui se fonde uniquement sur un ratio entre le montant de la facture et les revenus du ménage », précise Xavier May, économiste et chercheur à l’Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire de l’ULB.

« Un ménage sera ainsi considéré en précarité hydrique quand les dépenses en eau dépassent 2% des revenus. Ce qui exclut les personnes sans domicile ou mal logées ».

L’équipe du projet estime que cette vulnérabilité hydrique concernerait, a minima, 100.000 personnes. Soit 7,5% de la population de la région bruxelloise.

Le problème de la facture

Des indices montrent que de plus en plus de ménages éprouvent des difficultés à honorer leurs factures. L’étude révèle ainsi qu’entre 2011 et 2019, le montant des factures échues impayées a augmenté de 93%.

Ces chiffres ne concernent toutefois que les personnes recevant directement une facture. Or, à Bruxelles, environ 60% des logements sont alimentés par un compteur collectif. « Le ménage paie alors un forfait ou une provision (information explicitée ou non dans le bail) », fait savoir Valentina Marziali, sociologue au Centre de recherche sur les inégalités sociales. Le souci est que, « dans le cas d’un forfait, le ménage débourse parfois plus que sa consommation réelle. Et dans le cas de provision, il doit en plus payer un décompte en fin d’année, quand la facture annuelle est envoyée au propriétaire. »

Il est, par ailleurs, compliqué pour ces locataires d’obtenir des aides en la matière puisque, sans facture, ils ne peuvent pas demander à la compagnie bruxelloise des eaux d’établir de plans de paiement. Quant à l’intervention sociale prévue pour les bénéficiaires de l’intervention majorée, elle n’est pas automatique pour les ménages avec un compteur collectif. « Le non-recours à la mesure est donc fort important », constate Xavier May.

Établissements publics et associatifs donnant accès à un service de douches en Région de Bruxelles-Capitale (situation en 2019). Données collectées par Pauline Bacquaert et Valentina Marziali © Projet HyPer

 

Exemple de fontaine © Xavier May

L’eau en dehors de/d’un chez-soi

Au-delà du prix, le logement peut aussi poser problème : absence de sanitaires ou d’eau chaude, installations vétustes ou mal installées, fuites non-réparées, etc. « Bien que le taux d’équipement s’est historiquement amélioré, cela ne veut pas dire qu’il est aux normes ou qu’il permet de répondre aux besoins du ménage », souligne Pauline Bacquaert, chercheuse en Histoire. Et, en cas d’absence de domicile, l’accès à l’eau d’hygiène est encore plus compliqué.

Si différentes initiatives existent, l’offre en Région bruxelloise reste dérisoire. On ne retrouve ainsi qu’une poignée de WC publics. Même constat pour les douches – une centaine sur tout le territoire –, dont la plupart sont proposées par des associations. Quant aux fontaines, si leur nombre progresse, elles sont coupées en hiver, et ne sont souvent pensées que pour remplir une gourde.

Il y a quelques décennies, ces infrastructures étaient pourtant bien plus nombreuses. « Un véritable service public assurant à tous l’accès à l’eau, et pas seulement aux personnes précaires, a existé tout au long du 20e siècle », rappellent Pauline Bacquart et Chloé Deligne. « Toutefois, dès les années 60, à mesure que les logements ont été équipés d’une salle de bain, la demande s’est faite plus rare (même si elle n’a jamais disparu), et l’offre a progressivement diminué.»

Pour un meilleur accès à l’eau dans l’espace public

Aujourd’hui, la précarité croissante de la population bruxelloise amène à reconsidérer le redéploiement de ces infrastructures. Dans un premier temps, les chercheurs recommandent de maintenir l’offre existante, notamment en matière de douches publiques, de la visibiliser, mais aussi de soutenir les associations. Au-delà, ils estiment qu’il faudrait multiplier leur nombre.

Idem pour les toilettes. L’équipe préconise, en outre, de généraliser les partenariats avec l’Horeca et les institutions publiques (écoles supérieures, bibliothèques, musées, halls omnisports, etc.). Les points d’eau, enfin, devraient être accessibles toute l’année et conçus pour d’autres usages, comme remplir un bidon.

Autant de pistes qui serviront à atténuer le problème de la vulnérabilité hydrique à Bruxelles. Et, plus largement, à replacer l’eau d’hygiène au cœur de l’espace public.

Localisation des fontaines, toilettes et urinoirs en Région de Bruxelles-Capitale (situation en 2019) © Infirmiers de Rue, Open Street Map

 

Enfin, voici un lien renvoyant vers un podcast/documentaire disponible en ligne, co-réalisé par Pauline Bacquaert, qui permet de mieux comprendre la problématique de l’accès à l’eau en ville à partir de témoignages issus du terrain.

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