Le joueur de hockey John-John Dohmen, médaillé d’or aux Jeux olympiques de Tokyo, est le premier utilisateur du nouveau dispositif de mesure de la fatigue musculaire © Myocene

La fatigue musculaire mieux cernée

11 octobre 2021
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 6 minutes

Comment mesurer efficacement la fatigue musculaire ? Répondre à cette question n’est pas aussi simple qu’il y parait. Si le phénomène de la fatigue musculaire est bien documenté, la mesurer avec précision reste un défi. Un nouveau dispositif vient de voir le jour en Wallonie. Myocène, une start-up liégeoise, promet, en effet, des mesures précises, rapides et reproductibles de cet état de fatigue.

« Surveiller la fréquence cardiaque est une des mesures utilisées actuellement  dans le monde sportif pour apprécier l’état de fatigue d’un athlète », indique le Dr Pierre Rigaux, spécialisé en médecine du sport.

« Mais cela reste approximatif. Divers paramètres peuvent influencer ce type de mesures. Avec notre nouveau dispositif, nous mesurons le comportement réel des fibres musculaires. Dans notre cas, c’est le quadriceps qui est placé sous surveillance. Un muscle important dans toute une série de sports. Une séance de deux minutes comprenant 48 mesures suffit à déterminer avec une grande précision l’état de fatigue de ce muscle. »

De meilleures performances athlétiques

La fatigue musculaire se traduit par une diminution de la force et de la vitesse des contractions musculaires. Or, quand il est fatigué, l’athlète devient moins performant et risque de développer des blessures.

« La fatigue musculaire est de deux types », reprend Pierre Rigaux. « Elle peut être de courte durée, par exemple, quand on monte des escaliers ; ou de longue durée, quand elle perdure plus de quelques heures. Dans le premier cas, on récupère ses pleines fonctions au terme d’une courte période de repos. Par contre, en ce qui concerne la fatigue de longue durée, également appelée fatigue calcique, la récupération est plus longue. Plusieurs jours peuvent être nécessaires avant de retrouver une forme optimale. »

« Déterminer cet état de fatigue est donc primordial pour les athlètes, afin de mieux gérer leurs entraînements et leurs périodes de repos avant une compétition. »

Les réactions du quadriceps sous surveillance

Pierre Rigaux, ancien patron de la société Cefaly, avait déjà mis au point un dispositif externe et non-médicamenteux pour réduire l’intensité des migraines. Ce système stimule le nerf trijumeau via des petites impulsions électriques. Pour Myocene, il a repris l’idée d’utiliser des électrodes afin de mesurer l’état de fatigue musculaire.

« La littérature scientifique à ce sujet est abondante », dit-il. « Au début des années 2000, certains fabricants de capteurs envisageaient déjà d’exploiter cette technologie pour déterminer la fatigue musculaire. Mais cela n’a pas été mené à terme. »

Le nouveau dispositif se présente donc sous la forme d’une série d’électrodes et d’un système de mesure de force du quadriceps. Le quadriceps est cet imposant muscle de la jambe qui intervient dans quantité de sports: football, handball, hockey, cyclisme, ski…

« Pour commander une contraction, les nerfs moteurs envoient des influx nerveux aux muscles qui se contractent en réponse à cette commande nerveuse. Plus les influx nerveux sont nombreux, plus leur fréquence augmente, plus la force de contraction est élevée », précise le médecin.

« Ainsi, pour un nombre déterminé d’influx nerveux envoyés à un muscle, une contraction d’une certaine force est produite. Mais lorsque le muscle est fatigué, il n’est plus capable de produire la même force que lorsqu’il est reposé. C’est sur l’enregistrement de cette perte de force à influx nerveux constant que se base le dispositif pour calculer l’indice de fatigue musculaire. »

Indice de fatigue fiable

La séance de mesures est réalisée sans mouvement volontaire de la part du sportif. Les électrodes disposées sur la jambe agissent comme un neuro-stimulateur qui permet de produire des contractions musculaires parfaitement quantifiées avec un nombre d’influx nerveux exactement déterminé et constant.

À chaque stimulation, le muscle se contracte, ce qui entraîne un mouvement du tibia. La force ainsi générée est mesurée par une jauge de contrainte. Le tout est analysé par un algorithme spécialement développé pour cet exercice. Il livre au final, après une séance de deux minutes et de 48 neurostimulations musculaires, un indice de fatigue fiable.

La fréquence de l’influx nerveux appliqué au muscle (échelle horizontale) entraîne sa contraction. La force de contraction est, quant à elle, mesurée sur l’échelle verticale. Avec la fatigue, la force tend à diminuer. En comparant les courbes, obtenues au repos et après un exercice, le système affiche un index de fatigue musculaire © Myocene

Un système adopté par le médaillé olympique John-John Dohmen

« Jusqu’à présent, on utilisait deux types de mesure de la fatigue », explique le joueur belge de hockey John-John Dohmen, médaillé d’or aux Jeux olympiques de Tokyo et premier utilisateur de ce nouveau dispositif.

« Soit via un formulaire où chaque sportif indique son propre ressenti de la fatigue sur une échelle d’un à dix, basé par exemple sur les douleurs aux jambes. Mais cela ne fonctionne pas, ce n’est pas assez objectif. Soit via des données GPS. Celles-ci enregistrent l’exercice fourni: déplacements, nombre de sprints, d’accélérations, de décélérations et leur évolution dans le temps. Cela génère beaucoup de données, mais n’indique par vraiment notre état de fatigue. Ces performances dépendant aussi de facteurs externes, comme les derniers entraînements, leur intensité, les adversaires sur le terrain, etc. », précise le sportif, par ailleurs ostéopathe et entraîneur d’une équipe féminine de hockey.

Depuis qu’il a adopté le dispositif liégeois, l’athlète est conquis. « Cela permet de personnaliser l’entraînement des sportifs en fonction de leur état individuel de fatigue. On évite dès lors le surentraînement et ses effets néfastes sur leurs performances. »

Les innovateurs à la barre de Myocene espèrent voir leur système adopté par les clubs sportifs, les centres de préparation, les fédérations, les universités… En Europe, puis ensuite aux Etats-Unis.

Rendez-vous aux prochains J.O. pour observer un bond dans les performances sportives ? À moins que le système ne trouve aussi une utilité en médecine? « D’autres applications potentielles portent, en effet, sur la santé cardiaque, les traitements oncologiques qui entraînent une certaine sarcopénie (perte de masse musculaire) ou encore pour lutter contre le vieillissement », indique le Dr Rigaux. Qui conclut: « pour l’heure, c’est surtout aux sportifs de haut niveau que notre dispositif s’adresse. »

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