La photosynthèse est apparue sur Terre il y a quelque 3,8 milliards d’années. Son rendement tourne, en général, autour de 1 % ! Autrement dit, les plantes gâchent 99 % de l’énergie solaire qui arrive jusqu’à leurs feuilles ! On est bien loin des 15 % de rendement des panneaux photovoltaïques qui garnissent les toitures. Or, en 3,8 milliards d’années, on n’a pas trouvé de trace d’optimisation du processus de photosynthèse © Laetitia Theunis

La robustesse du Vivant versus le culte de la performance

11 octobre 2024
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 5 minutes

Fluctuant. Les rapports scientifiques du GIEC, de l’UICN, de l’IPBES le disent de concert : le XXIe siècle sera fluctuant. Pour s’en sortir, il faut devenir robuste et laisser tomber la performance. C’est, en substance, le discours que le Dr Olivier Hamant a tenu lors de son passage à la Cité Miroir à Liège. Directeur de l’institut Michel Serres à Lyon, chercheur en biologie et auteur de nombreux livres, s’inspirant du monde vivant qu’il étudie depuis des décennies, il prône les vertus de l’incohérence, de la lenteur et de la redondance.

Ni efficace ni efficient

Avant d’entrer dans le vif du sujet, un détour par des définitions s’impose. La performance, c’est l’addition de l’efficacité et de l’efficience. Autrement dit, c’est atteindre un objectif avec le moins de moyens possible. Quant à la robustesse, c’est la capacité de maintenir un système stable malgré les fluctuations.

L’idée du Vivant performant est née d’une pensée réductionniste se basant sur des mécanismes biologiques isolés de leur contexte. « Cette idée, totalement fausse, du Vivant efficace, efficient et sélectionné pour sa performance, nourrit une pensée toxique pour la société. Le darwinisme social en est l’emblème », explique l’auteur, entre autres, de « Antidote au culte de la performance », paru chez Gallimard. « Les êtres vivants sont sélectionnés selon leur robustesse. C’est-à-dire leur capacité à se maintenir stables (sur le court terme) et viables (sur le long terme) malgré les fluctuations.

Qu’on se le dise, le Vivant n’est ni efficace (il n’a pas d’objectif) ni efficient (il compte de nombreuses redondances et gâche beaucoup d’énergie).

La photosynthèse, sous optimale pour parer aux aléas

Prenons la photosynthèse en guise d’exemple. Ce phénomène à la base des pyramides trophiques capte le CO2 de l’air et le transforme, avec de l’eau et sous l’effet de l’énergie solaire, en chaînes de carbones appelées sucres. Ces derniers servent à la croissance de la plante.

« La photosynthèse est apparue sur Terre il y a quelque 3,8 milliards d’années. Son rendement tourne, en général, autour de 1 % ! Autrement dit, les plantes gâchent 99 % de l’énergie solaire qui arrive jusqu’à leurs feuilles ! On est bien loin des 15 % de rendement des panneaux photovoltaïques qui garnissent les toitures. Or, en 3,8 milliards d’années, on n’a pas trouvé de trace d’optimisation du processus de photosynthèse. » Voilà qui mérite réflexion.

« En réalité, ce gaspillage de 99 % de l’énergie solaire incidente est crucial pour que la photosynthèse soit à même de gérer les fluctuations lumineuses et biologiques. Cela serait impossible à réaliser si la photosynthèse était optimisée. »

La fièvre, un état performant transitoire

Autre exemple, la température corporelle humaine. Quand tout va bien, elle est d’environ 37,2°C. Mais lors d’une attaque virale ou bactérienne, les mécanismes de défense se mettent en branle, et il arrive que le thermomètre affiche 40°C.

« A cette température, la plupart de nos enzymes sont à leur optimum d’activité. En effet, certaines sont un million (!) de fois plus actives à 40°C qu’à 37,2°C. Autrement dit : en temps normal, notre corps fonctionne de façon satisfaisante. Mais lorsque la fièvre s’empare de lui, notre métabolisme, surtout le système immunitaire, devient extrêmement performant. Mais l’état fébrile doit demeurer transitoire, car au bout de 3 jours à 40°C, les protéines se dénaturent et cela conduit à la mort de l’individu. »

«  Etre sous-optimal en temps normal, c’est ce qui permet les grandes marges de manœuvre nécessaires à la gestion d’une fluctuation imprévisible : l’arrivée d’un pathogène. »

Si on transpose cela au monde actuel, c’est comme si celui-ci était en suractivité fiévreuse depuis l’après-guerre. Un état un insoutenable et « mortel » à terme.

Du toujours plus au moins mais mieux

Pour le chercheur, quitter le monde de la performance pour celui de la robustesse n’est pas négociable dans le monde fluctuant qui nous attend. « Nous quittons l’époque du burn-out, qui affecte les humains comme les écosystèmes, pour entre une ère où les tempos seront respectés, riche de davantage de liens. »

Concrètement, comment on s’y prend ? Olivier Hamant donne quelques pistes. Il prône l’alliance des démarches scientifique et artistique. « Il s’agit de questionner la pertinence des questions auxquelles on veut apporter la réponse. » Un entrepreneur devrait par exemple présenter son futur projet à des personnes très distantes de lui et intégrer leurs remarques. « La robustesse invite à la pensée complexe. »

Il recommande également d’identifier ce qui est déjà robuste actuellement. Par exemple, la pause-café paraît contre-performante (c’est du temps perdu), mais c’est là où peuvent se lier des personnes qui interagiront ensuite plus aisément lors des aléas.

Il appelle aussi à la conception et à l’usage d’outils dynamiques. « Dans le monde de la performance, on adore les indicateurs de performance. Mais dans un monde instable, ceux-ci ne servent à rien. Au contraire, dans un monde fluctuant, il convient de faire passer le test de robustesse aux projets envisagés. Par exemple : si le pétrole est 30 % plus cher l’an prochain, si un virus met le web KO pendant 6 mois, mon projet tient-il la route ? »

Ce ne sont que quelques exemples. « La révolution à venir est profonde. Il va falloir embarquer tous les humains dans un monde contraire à celui que nous vivons actuellement : il s’agira de basculer du « toujours plus » vers « moins mais mieux » », conclut Olivier Hamant.

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