On limite souvent le partage de ‘nudes’ ou d’images intimes sans consentement au ‘revenge porn’. Cela existe, mais, pour les 15-25 ans, cette pratique n’est pas motivée exclusivement par une envie de vengeance, l’immaturité, les motivations émotionnelles et sociales entrent aussi en jeu.
« Peu de recherches ont été menées sur le point de vue des jeunes concernant la diffusion non consentie d’images intimes, en particulier sur les motivations des auteurs », explique Océane Gangi, assistante chercheuse au département de Criminologie de l’Université de Liège. « Nous avons ciblé les 15-25 ans, les ‘digital natives’ (nés entre 1997 et 2007), pour savoir ce qu’ils pensent de ces partages non consentis d’images intimes, comment ils les définissent et quelles sont leurs motivations. Et ce, en sachant que parmi eux, il y a des auteurs, des victimes et des témoins.»
Lutter contre la cyberviolence
Cette étude fait partie du projet @ntidote, financé de 2021 à 2023 par Belspo (Belgian Science Policy Office) dans le cadre du programme BRAIN-be 2.0 et mené en collaboration entre trois universités (Saint-Louis à Bruxelles, ULiège et UAnvers). L’objectif? Développer un antidote à deux types de cyberviolence : le discours de haine en ligne et la diffusion non consentie d’images intimes. C’est sur cet aspect que nous nous penchons ici.
Au sein d’un des sous-projets visés par @ntidote, les chercheuses Océane Gangi, Dre Cécile Mathys et Aurélie Gilen ont mené des entretiens semi-directifs avec 24 jeunes Belges, francophones et néerlandophones d’un âge moyen 19,8 ans. Ils ont été sélectionnés en fonction de différents facteurs individuels: sexe, orientation sexuelle, origine culturelle et statut auto-déclaré d’auteur, de victime ou de témoin de cyberviolence. Et ici, plus spécifiquement de diffusion non consentie d’images intimes. Ces images peuvent être partagées dans les pages publiques, mais de manière générale, elles le sont dans les groupes privés (WhatsApp, Telegram, Snapchat…).
Au total, 13 hommes et 11 femmes ont été rencontrés. Treize ont déclaré avoir été témoins, 5 victimes, 1 auteur et témoin, 1 victime et témoin, 1 auteur et victime, et 1 combinait les trois statuts. Seuls deux répondants n’avaient aucune expérience en matière de partage non consenti d’images intimes.
De l’immaturité à la régulation émotionnelle
Pourquoi partager des images intimes d’autres personnes sans leur consentement? L’analyse a mis en évidence 4 types de motivations. Derrière le motif le plus courant basé sur l’intentionnalité, soit pour blesser l’autre, le rabaisser et le manipuler, trois autres motifs ont été exprimés par les participants: l’immaturité, les motivations sociales ou émotionnelles. L’immaturité se traduit par de l’impulsivité ou de l’égoïsme. On entend par motivations sociales la recherche de popularité, l’envie de montrer “son” trophée, l’effet de groupe. L’ennui, la jalousie, le fait d’être blessé font partie des motivations émotionnelles.
Ces résultats soulignent également les spécificités liées au développement de l’identité des 15-25 ans. « La plupart des jeunes donnaient plusieurs motivations. Ce qui me semble le plus intéressant, c’est l’immaturité, parce qu’elle permet de relier les divers motifs. Les jeunes diffusent ce genre d’images comme une forme de régulation émotionnelle personnelle. Il est aussi très intéressant de voir qu’après le premier partage d’un ‘nude’, qui peut être du ‘revenge porn’, il y a tous les autres partages successifs, qui peuvent être guidés par des motivations sociales », indique la chercheuse.
Océane Gangi explique, par ailleurs, que ce phénomène n’est pas forcément genré : « on dit souvent que la fille est victime et l’homme coupable ou auteur, mais parmi les partageurs, il y a beaucoup de filles qui rediffusent des images d’autres filles. Et ça, ce sont aussi des motivations sociales. Il peut s’agir de jalousie ou d’une tactique pour éviter que quelqu’un ne partage leurs propres photos. Il faut donc éduquer les garçons, mais aussi les filles. Globalement, il ne faut vraiment pas oublier tous les autres partageurs qui peuvent être considérés comme auteurs, mais également comme témoins : sont-ils auteurs parce qu’ils partagent ? Ou sont-ils des témoins actifs ? »
Derrière les motivations
A l’analyse de ces résultats, les chercheuses émettent l’hypothèse que les participants à leur étude, de par leur âge, présentent des spécificités qu’il ne faut pas négliger.
« En effet, le processus de construction identitaire se termine typiquement vers la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte. Notre échantillon semble encore être dans une phase de développement, ce qui peut avoir plusieurs implications. »
« Premièrement, la vision à court terme peut entraîner des comportements impulsifs ou déclenchés par des émotions comme l’ennui ou la jalousie. Deuxièmement, le manque de maturité et une perspective axée sur l’instant présent peuvent conduire à une prise de décision égocentrique , dans le but, notamment, d’appartenir à un groupe . »
« Enfin, les réflexions identitaires qui caractérisent cette période de développement pourraient amener les individus à projeter leurs propres réflexions sur les autres, qu’elles soient liées au genre, à l’orientation sexuelle, au milieu culturel ou même à l’intimité et à la sexualité. »
« Il serait donc intéressant, tant en termes de politiques pénales que de prévention, de prendre en compte ces différentes motivations. Réduire le comportement au contenu produit tend à négliger les subtilités et nuances entourant le comportement, et donc à s’éloigner de la réalité vécue par les individus de 15 à 25 ans », concluent les chercheuses.
De son côté, Océane Gangi a postulé pour une bourse de doctorat afin d’étudier les dynamiques individuelles et collectives au sein des groupes de discussion tels que WhatsApp, Telegram etc.