Dame de Brassempouy, paléolithique supérieur, ivoire de mammouth sculpté, France.
Dame de Brassempouy, paléolithique supérieur, ivoire de mammouth sculpté, France.

Rapprocher préhistoire et neurologie pour mieux connaître l’homme

12 mai 2015
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes

Ce mardi à Paris, le professeur de préhistoire émérite à l’Université de Liège Marcel Otte préside une session du colloque «L’évolution humaine: des gènes à la culture». Les processus évolutifs seront cernés au cours de cette rencontre internationale organisée par l’Académie des sciences.

 

La spiritualité détermine la pensée

 

«Mon idée d’établir une relation entre sciences humaines et neurologie a séduit académiciens, neurologues, spécialistes de la microbiologie, paléogénéticiens, paléoanthropologues», explique Marcel Otte, initiateur du colloque. «Ma communication la plus importante est consacrée au rapport entre l’art, en tant qu’émotion, et la pensée religieuse.

 

Depuis une dizaine d’années, mon terrain de recherche est la religiosité. Je m’intéresse à la spiritualité dans son acception large: tout ce qui relève de l’esprit. C’est en se dégageant des lois philosophiques et naturelles que la spiritualité détermine la pensée. Un degré de complexité technique s’établit en parallèle à la complexité spirituelle.

 

Cette évidence n’est guère passée dans notre pensée ordinaire. En dépit des brillants travaux anthropologiques qui se limitent souvent à couvrir de bonne conscience des mentalités occidentales restées extrêmement sélectives.»

 

Il n’y a pas que les os!

 

"A l'aube spirituelle de l'Humanité", par Marcel Otte, éditions Odile Jacob, 22,90 euros
“A l’aube spirituelle de l’Humanité”, par Marcel Otte, éditions Odile Jacob, 22,90 euros

Le préhistorien liégeois cerne la naissance de la pensée, de la culture, de l’art et de la religion dans « À l’aube spirituelle de l’humanité », paru chez Odile Jacob. Il met à mal la théorie de l’évolution de Charles Darwin. Il montre que notre espèce s’est progressivement dégagée des lois de la reproduction du plus apte en donnant toute liberté à son imagination, à ses rêves, à sa pensée. Le spécialiste s’écarte des fossiles qui passionnent Yves Coppens, codécouvreur en Éthiopie du squelette de Lucy, la préhumaine de 3,5 millions d’années.

 

« L’argument tiré de la chair et des ossements ne touche pas l’essentiel », juge Marcel Otte qui préside le groupe de contact préhistoire au Fonds de la Recherche Scientifique.  «Il ne dit rien de qui je suis. Il n’explique pas pourquoi j’écoute Bach… »

 

Le préhistorien dispose d’une autre arme, à laquelle je suis spécialement attaché. Elle consiste à jouer avec les traces anoblies au rang de signes. L’ensemble de ce jeu immense fut rassemblé sous la désignation de sémiologie, dérivée jadis de l’étude des langues par Ferdinand de Saussure. Et promue vaille que vaille à toutes les autres disciplines pratiquées par l’homme autant que sur l’homme.»

 

L’Homme, impuissant, crée des mythes

 

À la préhistoire, l’homme tremble de peur devant sa destinée lorsqu’il se rend compte que des forces infiniment plus puissantes existent en dehors de son pouvoir. Il crée les mythes, des esprits sacrés dont les aventures miment celle des humains en les parodiant. Les premiers dieux à l’image humaine apparaissent au Néolithique. Période caractérisée par la sédentarisation, la maîtrise des techniques, l’apparition de l’agriculture, de l’élevage. Par une organisation des activités religieuses qui montrent que ce sont elles le moteur. Pas le Soleil.

 

«Les images des religions récentes découlent spontanément de l’archéologie la plus ancienne», relève Marcel Otte. «Avec le Néolithique, les craintes et les espoirs métaphysiques se sont retournés en l’homme, voire contre lui-même. Touchée par l’épidémie spirituelle, l’Europe entière a basculé en quelques siècles, sans le recours parfois supposé de vagues migratoires. Sous toutes ses formes, la fonction religieuse ou sacrée ne nous a jamais quittés. Si, à plusieurs reprises, des primates ont pu s’aventurer avec succès en milieu ouvert, cette étape matérielle a dû être précédée par une maturation spirituelle et collective.»

 

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