Direction le premier étage souterrain de l’Institut royal d’aéronomie spatiale de Belgique (IASB). Après s’être assuré d’avoir bien nettoyé ses chaussures, on pénètre dans un laboratoire aux normes de propreté strictes. Derrière une large vitre et des lamelles de plastique pendant du plafond au sol, un environnement à l’aération contrôlée. Là, se tient une copie conforme du rack FSL (Fluid Science Laboratory) installé à bord de la station spatiale internationale (ISS).
« Cette grosse structure de 800 kilos, c’est l’équivalent en taille réelle du FSL actuellement en orbite », explique Etienne Haumont, responsable qualité et du laboratoire FSL à l’IASB. Véhiculé à bord de la navette spatiale, celui-ci a été lancé le 7 février 2008 lors de la mission Space Shuttle Atlantis STS-122 en même temps que le laboratoire européen Columbus. Cinq jours plus tard, ils étaient installés à bord de l’ISS. « Il y est positionné juste en haut en entrant », précise-t-il.
Depuis lors, les expériences scientifiques étudiant la dynamique des fluides en microgravité s’y succèdent. La dernière en date est belge. Son objectif : passer au crible le phénomène d’ébullition à l’aide d’un conteneur expérimental. Il est actuellement installé dans le FSL en orbite et répond au nom de Rubi (Reference mUltiscale Boiling Investigation).
Le conteneur expérimental Rubi existe en deux exemplaires
Revenons sur Terre, dans le sous-sol de l’IASB. Sur une petite plate-forme, une boîte noire, le jumeau de Rubi. « Il s’agit de l’engineering model, une copie bon marché du flight model installé à bord de l’ISS, conçue avec des composants qui n’ont pas la qualité militaire exigée pour le flight model, comme la résistante certifiée aux radiations ionisantes, etc. » Une copie terrestre certes plus économique mais aussi fonctionnelle que sa version spatiale.
Pourquoi deux exemplaires ? Les expériences qui vont être faites à bord de l’ISS ont été réalisées dans le modèle terrestre au préalable de l’envoi du flight model dans l’espace.
« Le programme des scientifiques est ainsi quasi entièrement déterminé. Si l’on se rend compte que le comportement dans l’espace n’est pas celui attendu, on fera des ajustements sur le modèle terrestre pour ensuite les communiquer au modèle spatial. C’est ce qu’on appelle le troubleshooting. »
Des opérateurs belges aux commandes
Embarqué sur une fusée Falcon 9 au départ de Cap Canaveral, en Floride, Rubi est arrivé à bord de l’ISS le 25 juillet dernier. C’est Luca Parmitano, astronaute de l’ESA, qui est chargé de son l’installation dans le FSL. Il s’agit de faire rentrer la boîte noire – aux dimensions standards 40 x 27 x 28 cm – dans le corps du rack et d’effectuer les connexions de câbles. À l’heure d’écrire ces lignes, cette opération délicate n’est pas encore réalisée totalement à cause de soucis techniques.
Une fois son installation terminée, c’est par les ondes que Rubi sera contrôlé. Les opérateurs belges restés sur Terre seront en connexion directe avec le système expérimental.
Amélioration de la résolution spatio-temporelle
L’expérience belge a pour but d’étudier les phénomènes fondamentaux liés à l’ébullition. Un liquide sera chauffé au cœur du conteneur expérimental. L’objectif ? Observer plus facilement la formation des bulles et comprendre les mécanismes physiques sous-jacents grâce à l’état d’apesanteur. Ecoutez Michel Kruglanski, head manager B.USOC, le centre belge d’opérations spatiales qui contrôle l’expérience Rubi:
Sur Terre, la formation des bulles est fulgurante. Celles-ci se détachent très rapidement et laissent dès lors peu de temps aux scientifiques pour observer le phénomène. En apesanteur, la poussée d’Archimède n’existe pas. Les bulles vont dès lors grossir tout en restant attachées à la surface, donnant le loisir aux scientifiques de les observer.
Point d’eau, mais du FC-72
Quel est donc ce liquide enfermé dans le conteneur expérimental et qui va être porté à ébullition ? Il ne s’agit pas d’eau, mais de FC-72, une sorte de réfrigérant assez complexe. « Il a une plus petite tension superficielle que l’eau. Résultat, il a moins tendance à accumuler les surfactants. C’est important, car ce phénomène de contamination de surface par des impuretés risquerait d’entraver l’expérience. Par ailleurs, contrairement à l’éthanol, FC-72 n’est pas dangereux. C’est un bon compromis », explique Alexey Rednikov, chercheur au sein du groupe TIPs (Transfers, Interfaces and Processes laboratory) à l’ULB.
L’expérience Rubi permettra aux scientifiques d’optimiser leurs modèles numériques du processus d’ébullition. « On aura beaucoup de boulot dans les prochains mois. » Les résultats obtenus avec le FC-72 seront extrapolables à tous les liquides.
Deux caméras embarquées
Parmi ses 35 kilos de charge utile, Rubi compte deux caméras. L’une est dite thermique. « La télémétrie, donc les données de température, est envoyée via le câble data qui passe par le FSL », explique Etienne Haumont.
L’autre caméra enregistre pas moins de 500 images par seconde. De quoi observer en détail la croissance des bulles. Ces images seront reçues et vues en direct par les équipes terrestres. Toutefois, par sécurité, elles seront stockées dans les disques durs de la « video management unit », VMU. Après une remise en ordre en 2018, son rôle est de traiter et de décoder les images.
« Si les données sont reçues en direct sur Terre, il arrive toutefois qu’il y ait des trous dans les images à cause d’une mauvaise communication. » Ces moments de perte de signal sont dénommés LOS (Lost of signal). Ils interviennent lorsque l’ISS n’est pas bien positionnée par rapport aux stations de réception terrestres. « Mais dès que l’acquisition du signal revient, la station envoie toutes les données qu’elle a stockées durant les LOS. On peut également rejouer les données contenues sur les disques durs. Ils sont vidés une fois que les scientifiques n’ont plus besoin des données », commente Etienne Haumont.
L’expérience d’ébullition devrait durer 5 mois. Ensuite, le conteneur expérimental Rubi ira certainement rejoindre le ventre d’un véhicule qui a servi au réapprovisionnement de l’ISS. Et, avec d’autres déchets, il s’en ira se consumer et se désintégrer dans l’atmosphère.