Le patrimoine génétique d’un individu a un effet sur la composition de son microbiote intestinal. Tel est le résultat d’une nouvelle étude à laquelle ont participé Michel Georges, Directeur du centre de recherche du GIGA et de son unité de Génomique animale (ULiège), et Carole Charlier, qui y est maître de recherches FNRS et chercheuse.
Durant trois ans, les deux scientifiques ont collaboré avec une équipe de l’Université agronomique de Jiangxi (Chine) et ont découvert que le type de bactéries qui peuplent nos intestins est influencé par notre groupe sanguin.
A chacun son microbiote…
Pour mieux comprendre l’enjeu de cette découverte, rappelons que notre tube digestif abrite des centaines de milliards de bactéries, virus, parasites et champignons non-pathogènes. Un ensemble qui constitue notre microbiote intestinal, aussi appelé flore intestinale. Celui-ci diffère considérablement entre individus, en fonction de l’âge, ou encore selon des facteurs comportementaux et environnementaux, comme l’alimentation.
Ce microbiote est aujourd’hui particulièrement étudié, car il existe un lien entre sa composition et l’état de santé de l’individu. « La communauté scientifique tente notamment de savoir si c’est la maladie qui modifie le microbiote, ou l’inverse. Le déterminer serait utile, car si l’état de santé était causé, du moins en partie, par une modification du microbiote, il serait alors possible d’agir sur sa composition, et ainsi impacter la santé de manière positive », développe Michel Georges.
….et son génotype
La génétique médicale, de son côté, a démontré depuis longtemps que notre patrimoine influence notre santé. « On est fortement prédisposé à développer telles ou telles pathologies par les gènes hérités de nos parents. »
La question que se posent aujourd’hui les scientifiques est : ‘quelle partie de cette héritabilité serait influencée par le microbiote ?’. « En clair, on se demande si certains de nos gènes ne changeraient pas la composition de notre microbiote, et si cette modification n’affecterait pas notre santé. »
Les gènes de milliers de cochons à la loupe
Pour le savoir, Michel Georges et Carole Charlier ont pris part aux recherches menées par l’équipe du Pr Lusheng Huang, un partenaire de longue date. Sur base d’une grande population de porcs, ils ont analysé l’effet du génotype de l’hôte (l’ensemble des caractères génétiques) sur la composition du microbiote intestinal.
« Au cours des dernières années, le Pr Huang a élevé plus de 10.000 porcs et séquencé le génome d’environ 2.000 d’entre eux. Des données qui représentent une véritable mine d’informations pour étudier l’effet de la génétique sur le phénotype (l’ensemble des caractères observables dépendant de l’expression des gènes (génotype) et de l’environnement) », fait savoir le Pr Georges.
Le porc est un modèle intéressant puisqu’il dispose d’un seul estomac, est omnivore et d’environ la même taille que l’humain. « Par ailleurs, cette population affiche une très grande diversité génétique. Pour se faire une idée, ces porcs présentent autant de différences entre eux qu’il en existe entre l’Homme de Néandertal et Homo sapiens. De plus, comme ces animaux vivent tous au même endroit et mangent la même chose, il y a peu de variations environnementales, lesquelles influenceraient l’étude de leur génome.»
La flore des personnes du groupe sanguin A diffère du groupe O
Résultat ? « Nous avons prouvé qu’il existe bel et bien un effet du génotype », déclare le chercheur. « Un gène, en particulier, a une énorme influence sur l’abondance d’un petit groupe de bactéries intestinales, de la famille des Erysipelotrichaceae. »
Ce gène n’est autre que celui qui code, chez l’humain, le groupe sanguin (A, B, AB, ou O). « Il faut savoir que ce gène est surtout exprimé dans l’intestin et, qu’en fonction de notre groupe sanguin, le mucus qui borde nos intestins comportera des sucres différents ».
Pour le groupe A, ce sucre est le GalNAc. Or, selon cette étude, le fait que la concentration intestinale de GalNAc soit deux fois supérieure chez les cochons de type A que ceux de type O conduit à l’augmentation de l’abondance d’une souche particulière d’Erysipelotrichaceae. « Ces bactéries préfèrent donc s’alimenter de ce sucre particulier, et se plaisent mieux dans un environnement intestinal de type A que O. »
En résumé, la composition bactérienne de nos intestins serait influencée par le type de groupe sanguin hérité de nos parents.
Des bactéries génétiquement sensibles aux groupes sanguins
Par la suite, l’équipe de chercheurs a isolé ces bactéries et séquencé leur génome, ainsi que celui de 3.000 autres bactéries intestinales. « Nous avons ainsi découvert que les bactéries sensibles aux groupes sanguins disposaient de l’ensemble des gènes requis pour dégrader le GalNac, alors que seuls 3% des 3.000 autres bactéries analysées en étaient capables. »
Ces résultats attestent l’existence d’une composante génétique à la fois chez l’hôte, mais aussi chez les bactéries de la famille des Erysipelotrichaceae.
« Selon moi, notre étude est celle qui montre le plus clairement qu’il existe un réel effet génétique sur la composition du microbiote intestinal, toute espèce confondue, tout en expliquant comment cette association naît entre les deux partenaires », conclut Michel Georges.