Quand les insectes perturbent l’aérodynamisme des avions

13 juillet 2020
par Camille Stassart
Temps de lecture : 5 minutes

Réduire la consommation de carburant des avions, et donc leur empreinte carbone, est un intérêt majeur pour l’aviation. Pour se faire, les concepteurs cherchent, depuis plusieurs années, à alléger le poids des appareils et à optimiser leur aérodynamisme.

À côté de la conception de matériaux plus légers et de moteurs plus petits, des solutions sont aussi étudiées pour rendre les surfaces de l’appareil antiadhésives. L’intérêt ? Limiter la contamination des insectes au décollage et à l’atterrissage ! Cela paraît anodin, mais en s’écrasant puis en s’agglomérant aux surfaces, ces hexapodes impactent l’aérodynamisme de l’avion, en particulier au niveau des ailes.

Insectes collés sur une aile d’avion, augmentant les frottements et réduisant l’aérodynamisme © CHOPIN

En collaboration avec la société AIRBUS, le projet européen CHOPIN (Coatings with hydrophobic and/or omniphobic properties against insect contamination) planche ainsi depuis deux ans sur le développement de revêtements de surfaces innovants.

Des ailes encrassées par les insectes

« Notre idée est de concevoir un revêtement antiadhérent et auto-nettoyant, qui serait appliqué aux surfaces des bords d’attaque des avions, c’est-à-dire les bords des ailes qui font directement face à l’air. Le but étant de limiter les dépôts d’insectes qui perturbent l’écoulement laminaire », indique Mireille Poelman, R&D Program Manager au centre de recherche Materia Nova, et coordinatrice du projet CHOPIN.

Pour rappel, l’écoulement laminaire est un phénomène physique qui décrit un mode d’écoulement d’un fluide (ici l’air), au cours duquel l’ensemble des particules s’écoule en un mouvement rectiligne et parallèle.

Ecoulement laminaire (en haut) et turbulent (en bas)

Dans le cas où les bords d’attaques d’un avion sont encrassés, le frottement de l’air avec leurs surfaces augmente, perturbant en conséquence la trajectoire des particules d’air. Aérodynamiquement parlant, on passe d’un flux laminaire à un flux turbulent. Et quelques dizaines de micromètres de dépôt sur la surface suffisent pour déstabiliser ce flux.

« Le problème est que ces perturbations au niveau du flux laminaire demandent à l’avion de consommer plus de carburant pour conserver la même vitesse », résume Mireille Poelman.

Cinq technologies anti-contaminations à l’étude

Pour pallier ce problème, le projet CHOPIN a donc réuni l’expertise du centre de recherche Materia Nova, mais aussi celle de l’Institut Von Karman, de Cidetec (Espagne), de Norce (Norvège), et de l’entreprise Berthier (France). Ensemble, ce consortium a imaginé, développé et testé cinq technologies de revêtements différentes.

« Toutes ont un caractère hydrophobe, ou bien omniphobe, qui permet de réduire l’accroche de différentes substances, dont l’hémolymphe des insectes, un liquide équivalent à du sang », précise Mireille Poelman.

« La difficulté a surtout été de rendre cette propriété durable. On le voit bien avec nos poêles anti-adhésives : le revêtement « téflon » ne se maintient qu’un certain temps. Le matériau exploité doit être assez solide pour résister à des contraintes mécaniques importantes, mais aussi à un environnement extrême, comprenant des changements de température rapides et des rayonnements ultraviolets agressifs », souligne la chercheuse.

 

Prototype sol-gel hydrophobe © CHOPIN

Le sol-gel, une technologie durable et solide

Afin de déterminer quel revêtement était le plus intéressant parmi les cinq développés, l’équipe de scientifiques a mené ces derniers mois plusieurs expériences, simulant ces conditions en laboratoire ou en soufflerie à l’Institut Von Karman. Celui développé par Materia Nova, basé sur la technologie sol-gel, s’est révélé un des plus performants et est sélectionné pour les tests de validation.

Ce procédé chimique de construction de matériaux, contraction des termes « solution-gélification », permet la synthèse de verres, de céramiques et de composés hybrides organiques et minéraux.

Le projet a pour objectif de tester ce prototype en conditions réelles. Les scientifiques espèrent pouvoir se rendre d’ici l’été prochain dans une région du nord de la Norvège, très riche en insectes à cette période de l’année, afin d’y mener des expériences sur des drones.

Décollage d’un second projet européen

Déjà, de nouvelles recherches destinées à améliorer ce revêtement ont démarré. Le projet européen STELLAR, également coordonné par Mireille Poelman, vise à mieux saisir la transformation biochimique de l’hémolymphe pendant les phases de vol, et la modification physico-chimique de la surface qui en résulte.

« En fait, l’hémolymphe « fraîche » ou coagulée ne va pas s’accrocher de la même manière à la surface de l’appareil. Et cela est probablement influencé par les paramètres atmosphériques », explique la scientifique.

En comprenant mieux ce phénomène, les scientifiques pourront perfectionner les solutions anti-contaminations, améliorant encore ses performances. Par cette solution innovante, les chercheurs ciblent une réduction de 50% du frottement des ailes et jusqu’à 5% en moins d’émissions de CO2.

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